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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 décembre [1845], mardi matin, 9 h. ¼

Bonjour, bien-aimé, bonjour, doux adoré, bonjour, comment vas-tu ce matin ? Si tu as veillé cette nuit, comme ce n’est que trop probable, tu as dû entendre un furieux ouragan. Quant à moi, la peur m’a tenue éveillée une partie de la nuit. Je croyais à chaque instant qu’on forçait mes portes et qu’on arrachait ma fenêtre. Enfin c’est fini, grâce au ciel. Je suis très brave le jour mais la nuit je crains tout et bien autre chose encore.
Bonjour, mon Toto, bonjour, mon pauvre préoccupéa, bonjour, ma vie, je t’aime, et toi ? Donne-moi à copire. Je suis impatiente de savoir la suite du bon évêque de D. [1] ou n’importe quoi puisque tout ce qui vient de toi est également beau, intéressantb et admirable. épêche-toi, je t’en prie, je t’en supplie, mon petit Toto, je suis très pressée. Je vais bien vite faire ta tisanec et toutes mes affaires pour être prête de bonne heure dans le cas où tu me donnerais de l’ouvrage. D’ici là, je vais t’aimer, t’aimer et puis t’aimer, penser à toi, te désirer et t’adorer. C’est ce que je fais tous les jours avec une ardeur et une conscience digne de toi. J’aurais trente-six milliards de cœurs qu’ils seraient tous occupés à t’aimer et encore ne feraient-ils pas la moitié de la besogne tant je t’aime à moi toute seule. Je te baise, je t’embrasse, je te dévore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 289-290
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « préocupé ».
b) « interressant ».
c) « ta tisanne ».


23 décembre [1845], mardi soir, 4 h. ½

Comment, mon petit Toto, vous avez pu croire que j’avais un parapluie chez moi et que je vous laissais mouiller tous les jours jusqu’aux os ? En vérité, vous me faites trop d’honneur, car je ne suis pas capable de ce courage héroïque. Si j’en avais eu un, je vous l’aurais prêté tout bêtement, risque à ne plus le revoir jamais. J’aime à voir combien vous m’avez approfondie depuis bientôt treize ans que je vous appartiens. Voime, voime, vous me connaissez à fond. Merci de la connaissance mais je ne vous en suis pas du tout reconnaissante. En attendant que vous ayez mis vos lunettes pour mieux voir ce que je suis, je vous ai fait acheter du très bon raisin. J’aurai donc le plaisir ce soir de vous voir faire vos grosses joues. J’aime mieux cela que d’assister à la mastication résignée de mes affreuses pommes. Vous êtes toujours très gentil, seulement cela me fait de la peine de vous donner d’aussi mauvais fruits. Taisez-vous et baisez-moi, vilain menteur. Veux-tu t’en aller avec ton cordon de la légion de blagueur. Si tu crois que je te crois, tu décrois joliment dans mon estime. Je [parie  ?] aller chez la mère Gaucher et te trouver au milieu de ses penailleries. Tu fais très bien du reste, mais tu ferais encore mieux de m’emmener avec toi et de me mettre à même les Zoubilles [2] de Dieu de Dieu. Quelles [Zorges  ?] je ferais d’y penser en salive.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 291-292
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette a commencé à copier le roman qui deviendra Les Misérables et se passionne pour Monseigneur Myriel.

[2Déformation (par accentuation de la liaison) de « houbilles » : guenilles, vieux vêtement, en patois.

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