18 décembre [1845], jeudi, 10 h. ¾
Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, je t’aime, et vous ? Je viens de décrotter ma robe et mon camail [1]. Ouf ! quelle corvée. J’ai cru que je n’en viendrais jamais à bout. C’est la première fois de ma vie je crois, que je me suis autant crottée. Enfin j’en suis venue à bout. Ce n’est pas sans peine et sans grognerie, tu en es bien sûr, n’est-ce pas, mon Toto chéri ? D’abord c’est votre faute aussi. Qui est-ce qui [n’] a jamais vu courir à bride abattue à travers la boue, la pluie, les omnibus et les passants comme nous l’avons fait hier ? C’est égal en somme. Je ne regrette pas ma peine et je suis toute prête à recommencer aujourd’hui si vous voulez. Cher petit bien-aimé, mon amour, mon Toto adoré, aucun ennui n’est comparable au bonheur d’être avec toi, c’est bien bien vrai.
C’est aujourd’hui jour d’Académie [2]. Si tu veux, j’irai te conduire jusqu’à la porte et tu reviendras me chercher chez Mlle Féau. Que je suis bête. Je te dis cela maintenant [illis.] tantôt et tu ne le liras que la nuit prochaine. C’est très bien imaginé mais c’est que je crois toujours te parler quand je t’écris. Voilà pourquoi je te dis tant de choses qui n’ont pas le sens commun à être lues. Je t’aime, je te baise, je t’attends.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16361, f. 269-270
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
18 décembre [1845], jeudi soir, 5 h. ½
Ce que tu m’as dit tantôt sur la nécessité d’aller à Hernani ce soir [3] me tourmente et m’attriste, mon Victor, quoique je reconnaisse l’urgence qu’il y a pour toi à te montrer à ces stupides comédiens le jour où ils jouent dans ta pièce. Seulement je ne comprends pas la difficulté qu’il y aurait à m’y mener avec toi, même pendant que tu travailles ? Certes, je n’ai pas à me reprocher d’indiscrétion de ce côté-là, car jamais je ne te demande à mettre le pied dans aucun théâtre, excepté quand on donne tes pièces et que tu y vas... Je crois que te voici ? Je finirai mon gribouillis...
7 h.
Te voilà déjà parti, mon Toto chéri, et Dieu sait maintenant quand tu reviendras. Je fais des vœux pour que tu ne sois pas en train de travailler ce soir parce que peut-être tu viendrais me chercher. En attendant, je viens d’avoir une petite scène étouffée avec ma servante que j’ai surprise buvant mon vin. Elle a essayé de nier mais l’évidence était là, elle a dû se taire. L’inconvénient de ce genre de grivèlerie, c’est de substituer de l’eau rougie à votre vin et ainsi de toutes les autres provisions de la maison, sans compter l’anse du panier qu’elle doit faire nécessairement danser [4], moi ne pouvant pas la surveiller. Tout se tienta dans ce monde et surtout dans ce monde-là.
Pauvre adoré, je t’aime, je te le dis toujours et jamais autant que cela est, pourtant.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16361, f. 271-272
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
<a) « ce tient ».