Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1845 > Décembre > 3

3 décembre [1845], mercredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon petit homme bien aimé, bonjour, mon adoré, bonjour, je baise tes beaux yeux pour les rafraîchira, ta belle bouche pour la respirer, tes belles mains pour les admirer et tout ton adorable petit corps pour me faire plaisir. Comment vas-tu ce matin, mon cher bien-aimé ? As-tu eu des nouvelles d’Hernani [1] ? Je te remercie le plus tendrement que je peux de n’y être pas allé sans moi. Tu ne sais pas le chagrin vif et profond que cela me fait chaque fois que tu vas au théâtre sans moi et aussi quand tu vas n’importe où. Mais le théâtre en particulier me semble un lieu défendu si tu n’es pas avec moi. Enfin tu n’y es pas allé hier, je t’en remercie du fond de l’âme, quoique je sache que ce n’est pas par ÉGARD pour moi mais bien à cause de certaines formalités de déférence et de politesse non accomplies de la part de ces ignobles histrions. Mais je ne suis pas fière et je profite de la circonstance avec la même reconnaissance que si elle avait été faite pour moi. Baise-moi, mon adoré, je t’aime. Pense à moi si tu peux et viens le plus vite possible baigner tes pauvres yeux et recevoir mes caresses dont je ne sais que faire. En attendant, j’en mets le plus que je peux dans ce petit coin de papier : je te baise, je t’aime, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 207-208
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « raffraîchir ».


3 décembre [1845], mercredi matin, [11  ?] h. ¼

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon Toto ravissant, bonjour, je vous aime.
Comment vas-tu mon Toto ce matin ? M’aimes-tu ? Je me suis aperçuea cette nuit en relisant ta lettre adorée [2], que la transpiration la gâtait et j’ai été forcée de m’en séparer, à mon grand regret, non sans l’avoir couverte de baisers. Je l’ai mise dans mon livre rouge et, quoique ce soit sous ma tête et que je puisse laisser ma main dessus toute la nuit, je ne la trouve pas encore assez près de moi. Il a fallu toute ma raison et tout le désir que j’ai de la conserver intacte toute ma vie pour me décider à la quitter si vite. Mais je n’en suis pas plus contente pour ça, au contraire. Encore si je vous voyais plus souvent et plus longtemps, cela me mettrais du baumeb dans mes épinards, mais vous venez si peu, scélérat, que ce n’est pas la peine de le dire.
Mon pauvre ange du bon Dieu, ne t’embarrasse pasc de mes étrennes. Ce que je te demandais, c’était un brimborion à Dédé. Elle n’en a pas, tout est dit. J’ai la bourse de Juju, cela me suffit. Autre chose où il faut que tu dépensesd de l’argent et que tu prennes sur ton repos et sur ta santé pour l’avoir ne me satisfera pas. Ainsi je t’en suppliee, mon Toto, ne te tourmente pas à ce sujet. Je te le répète, ce que je voulais, ce n’était qu’une petite copinerie avec Dédé.
Jour, Toto chéri, jour, mon cher petit o, je ne veux pas que mon machin vous empêche de faire votre devoir envers moi. Je veux, au contraire, que vous vous signaliez par des EXPLOITS FAMEUX. En attendant, je mets force cataplasme et je vous aime comme une enragée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 209-210
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je me suis aperçu ».
b) « du beaume ».
c) « ne t’embarasse pas ».
d) « tu dépense ».
e) « je t’en suplie ».


3 décembre [1845], mercredi soir, 4 h. ¼

Je suis là, mon bien-aimé, je t’attends, je pense à toi, je t’aime, je te désire, je t’adore. J’espère que tu vas bientôt venir, car voici la nuit et tu viens assez volontiers à ce moment-là. Je ne te demande pas à sortir parce qu’il me serait impossible de poser un pied devant l’autrea. Depuis que je fais le remède d’Eulalie, je souffre comme une damnée. Je persiste cependant pour voir si ce remède homéopathique me guérira. J’en doute.
Mon petit bien-aimé adoré, je serais bien contente si tu venais dans ce moment-ci. La journée est si longue et si ennuyeuseb quand je ne t’ai pas vu une pauvre minute au milieu que tu serais bien gentil de venir me faire reprendre haleine et courage. On ouvre la porte, c’est....c la blanchisseuse. Que le diable l’emporte pour la fausse joie qu’elle vient de me donner. Personne ne devrait se permettre d’entrer chez moi quand je t’attends. Il est vrai qu’il n’y entrerait jamais personne puisque je t’attends toujours. Mon Dieu, quelle vieille rabâcheuse je fais. Je dis sans cesse la même chose, je suis absurde et je ne mérite même pas d’avoir un liard. Du reste, il me faudrait une chandelle allumée, car je n’y vois plus du tout et je cours grand risque de t’embrasser dans l’oreille. N’importe, je me risque.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 211-212
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « un pied un devant l’autre ».
b) « ennuieuse ».
c) Juliette a tracé quatre points.


3 décembre [1845], mercredi soir, 11 h.

Je t’écris un peu tard, mon petit Toto, à cause des petits goistapioux qui sont venus un peu plus tôt que je ne les attendais. Je me dépêche de me rabibocher avant que tu ne viennes. Je vous aime, mon Toto, vous saurez ça. Je vous trouve trop joli garçon, ce qui me vexe beaucoup. Il faudra que je vous griffe un peu pour rétablir l’équilibre entre nos deux hures, car je perds trop à la comparaison comme ça. En attendant, je me fais faire mon cataplasme et je me mire dans mon fauteuil qu’on m’a apporté ce soir et qui est mirobolant. Du reste, je ne souffre presque pas assise dans mon fauteuil à moi. Je suis presque aussi bien que dans mon lit. C’est une très bonne chose pour moi que de savoir où reposer le contraire de ma tête, chose qui m’embarrassait assez depuis huit jours. Je vous dis que je ne serai pas six mois à traîner mon Saint-Frusquin [3] en écharpe comme une bête. Je vous forcerai même d’ici à très peu de jours à faire des ARMES ZAVEC MOI comme avec la BRADAMANTE de la foire de Saint-Cloud [4]. Nous verrons si vous vous laisserez TOUCHER. D’ici là, soyez prudent et ne faites pas le tranche-montagne comme c’est assez votre habitude, car je ne le souffrirais pas.
Baisez[-moi] mille millions de fois et plus vite que ça.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 213-214
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Hernani a été repris au Théâtre-Français le 2 décembre 1845. Il sera joué les 18 et 21 décembre suivants.

[2Lettre non conservée, à notre connaissance.

[3Expression populaire qui signifie « ce qu’on a d’argent et de nippe » (Larousse).

[4À élucider.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne