Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1845 > Octobre > 14

14 octobre [1845], mardi soir, 6 h.

Mon Victor toujours bien bon et toujours plus aimé, je te remercie des conseils et des consolations que tu me donnesa en toute occasion. Je les reçois le cœur pénétré d’amour et de reconnaissance. Tu as vu la lettre de ma fille. Elle paraît sincère, mais cependant je dois la défendre contre elle-même et prendre des garanties à l’avenir contre son excessive légèreté. Les précautions auxquellesb la prudence m’oblige lui rappelleront mieux que ne l’ont fait mes recommandations, jusqu’à présent, la réserve et la circonspection qui doivent présider aux moindres actions de sa vie. Je sens que je l’afflige dans un endroit toujours très sensible du cœur humain : l’amour-propre. Mais il faut que j’aie ce courage et je l’aurai quoi qu’il m’en coûte. Je retournerai dans cette intention demain chez Mme Marre. J’espère que je la trouverai disposée à me seconder. S’il en était autrement, je ne l’y laisserais pas. J’aimerais mieux, cent mille fois mieux, la mettre chez sa sœur [1] si cela se peut.
Cher adoré, je te parle sans cesse de moi et de mes affaires quand j’ai le cœur plein de toi, quand je te regrette, quand je te désire et quand je t’appelle de toutes mes forces. J’ai la triste conviction que tu ne reviendras pas ce soir, ce qui me donne un découragement profond. Cependant je sens qu’il faut que tu t’occupes de tes enfants, que tu ne peux, ni ne dois faire autrement. Je t’approuve mais en même temps j’en souffre et je m’en afflige malgré moi. Si tu pouvais revenir ce soir, quelle bonne et quelle ravissante surprise ce serait pour moi. Est-ce que cela serait impossible en le voulant bien ? Il me semble que les petits goistapioux une fois bouclés et couchés peuvent très bien dormir sans toi ? Tu ne crains pas qu’ils se réveillent dans la nuit et qu’ils se mettent à pleurer dans la peur des LOUPS. Si j’étais à ta place, je sais bien que je trouverais le temps et la possibilité de venir. Tu le trouvais autrefois. Mais AUTREFOIS, c’était AUTREFOIS, tandis qu’à présent ce n’est plus AUTREFOIS. Ceci est plus profond que cela n’en a l’air et dit en deux lignes toute l’histoire des treize ans que nous avons passés ensemble. Je m’arrête, mon adoré, parce quec je sens que je vais devenir amère et grognon, ce qui ne m’arrive que trop souvent. J’aime mieux garder tout cela au dedans de moi et ne pas t’en ennuyerd.
Cher petit Toto, je vais me coucher pour tâcher de rêver de toi. Je te verrai demain à déjeuner, ce sera bien bon et bien charmant. D’ici là, je ne veux penser qu’à toi et ne faire que t’aimer pour me faire paraître le temps moins long et moins triste. De ton côté, mon petit homme chéri, pense à moi et aime-moi, je t’en supplie à genoux. Si tu peux venir ce soir, tu me combleras de joie et de bonheur, mais je n’ose pas l’espérer. En attendant, je te souhaite une bonne nuit et je t’embrasse de l’âme autant de fois que je t’ai baisé des lèvres et du cœur depuis bientôt treize ans.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 39-40
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu me donne ».
b) « auquelles ».
c) « parce ce que ».
d) « ennuier ».

Notes

[1La sœur de Mme Marre est Mlle Hureau. Elles dirigent ensemble le pensionnat de Saint-Mandé.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne