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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 août [1845], mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour, comment vas-tu ? As-tu bien dormi ? Ta vilaine douleur s’en va-t-elle ? Que tu es bon d’être venu hier au soir. Je n’osais plus l’espérer. Merci, mon doux Toto, merci, tu m’as rendue bien heureuse. Quant à ce que je t’ai dit pour sortir, je n’en userai qu’à la dernière extrémité quand je souffrirai trop, comme hier par exemple. Du reste, je t’écrirai toujours avant de sortir où je vais et l’heure à laquelle je suis partie et celle à laquelle je suis revenue. Mais, je te le répète, ce ne sera qu’à la dernière extrémité. Je profiterai des vacances de ma fille pour me donner de l’exercice si tu n’es pas toi-même souffrant.
Voici Eulalie. Je te dirai que je me suis trompée de 10 francs sur l’addition des reconnaissances. Au lieu de 221 francs, c’est 231 francs. Je l’avais faite précipitamment, ce qui est cause de l’erreur. Oh ! quel ennui que ces hideux papiers. Je ne peux pas y penser sans tristesse, je ne peux en voir un sans crispation. Le jour où je n’en aurai plus, il me semblera que j’aurai une montagne de moins sur la conscience.
Bonjour, Toto, bonjour, mon cher petit o, je t’aime. J’ai un besoin inexprimable de revoir les Metz [1]. Il faudra absolument que tu m’autorises à faire ce pèlerinage aux vacances. Je reliraia La Tristesse d’Olympio [2] sur les lieux mêmesb. Si tu savais à quel point ce désir est devenu un besoin pour moi, tu ne t’y opposerais pas, au contraire. En attendant, je t’adore comme le meilleur, le plus doux et le plus ravissant des hommes que tu es.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 168-169
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je relierai ».
b) « les lieux même ».


19 août [1845], mardi soir, 6 h. ½

Au moment où j’allais t’écrire, mon adoré, Mme Triger est venue savoir de tes nouvelles. Cher bien-aimé, je te remercie d’être venu et d’être resté quelques instants avec moi. Je ne veux pas que tu fassesa d’imprudence ce soir, mais je serais bien heureuse qu’une occasion se présentât de te voir encore une fois aujourd’hui sans danger pour ta chère petite santé. C’est si bon de te voir que je ne m’en lasserai jamais. Les élus ne se lassent pas de voir Dieu pendant l’éternité. Moi je ne me lasse pas de te voir non plus, car tu es mon cher petit Dieu adoré. Si tu savais avec quelle émotion de tendresse et de regret j’ai revu ce petit dessin de Malines [3]. Il me semblait voir le portrait d’un enfant aimé et perdu à tout jamais. C’est en effet le portrait d’un bonheur parfait qui ne reviendra plus jamais. Je te dis cela comme je peux mais tu dois me comprendre. Est-ce que ce n’est pas un singulier effet de magnétisme que celui qui m’a attirée vers ce petit dessin juste le jour anniversaire et heure par heure à laquelle il a été fait ? Pour moi, il m’a semblé que c’était ma petite âme qui m’avertissait de donner une pensée pieuse à ce souvenir d’un bonheur qui n’est plus. Je lui ai obéi et je suis restée plusieurs minutes en contemplation devant ce cher petit dessin et puis je l’ai embrassé à travers la vitre. Mon Victor, mon bien-aimé, ma joie, mon bonheur, ma vie, je suis à toi par le cœur et par l’amour, le jour où tu ne voudras plus de moi, je mourrai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 170-171
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu fasse ».

Notes

[1En septembre 1834 et 1835, alors que Victor Hugo séjournait chez les Bertin avec sa famille aux Roches, Juliette était installée dans une petite maison aux Metz, près des Roches, dans la vallée de la Bièvre. Les deux amants y feront un pèlerinage d’une journée le 26 septembre 1845.

[2« Tristesse d’Olympio » (Les Rayons et les Ombres, pièce XXXIV) a été composé par Victor Hugo le 21 octobre 1837, alors qu’il revenait des Metz où il était allé sans Juliette les 15 et 16 octobre 1837. Le poète lui avait fait lire le poème le 24 octobre et lui avait offert le manuscrit accompagné de la dédicace : « – pour ma Juliette – écrit après avoir visité la vallée de Bièvre en octobre 1837 ».

[3Du 10 août au 14 septembre 1837, Victor Hugo et Juliette Drouet avaient voyagé en Belgique et dans le Nord de la France. Le 19 août 1837, ils avaient visité les villes de Louvain, Malines et Lierre, en Belgique. Il existe effectivement un dessin « Malines - 19 août - midi - V. [MVH. 15. Cl. Bulloz] » (Massin, t. XVIII, 93).

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