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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 juillet [1845], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon cher petit taquin, bonjour, comment va votre pauvre petit bras ? Je vous plains malgré votre méchanceté noire et je désire de tout mon cœur que vous cessiez de souffrir. Baisez-moi, cher petit scélérat. Je vous dirai, chemin faisant, que nous n’êtes pas du tout vengé, que je n’ai pas la moindre soif, et que vous ne pourrez pas vous dispenser d’avoir bientôt un magnifique habit neuf. Tout ceci a lieu sans le moindre effort de ma part. La fatalité se charge de tous ces événements, je n’ai pas à m’en mêler. Seulement je la regarde faire et je [illis.]. Baisez-moi.
Je voudrais bien vous voir, mon Toto, je voudrais savoir comment va ton cher petit bras. À votre place, j’y aurais déjà mis du sparadrap. Je n’aurais pas voulu attendre si longtemps avant de me soulager. Décidément, le papier chimique est une révoltante mystification. J’ai hâte de voir la mère Triger pour lui dire ce que j’en pense. Mais tout cela, mon pauvre amour, ne te guérita pas et voilà l’ennui. Je t’ai déjà offert mon eau-de-vie camphrée et ma force musculaire pour te frictionner. Je ne sais pas ce qui t’empêche d’en user. C’estb un essai fort innocent qui, s’il ne fait pas de bien, ne fait pas de mal. Quant à moi, toutes les nuits, je suis réveillée par ma douleur d’épaule et de bras et puis cela se passe après deux ou trois évolutions. Je voudrais bien qu’il en fût de même pour toi. Au moins cela ne te gênerait pas pour écrire et ne te préoccuperaitc pas dans le jour. Je te donne des consultations et des consolations qui ressemblent fort à ton papier chimique. Le seul avantage qu’elles aient sur lui, c’est que je ne les faisd pas payer aussi cher.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, je vous pardonne et je vous aime. Je voudrais que vous me fassiez bien plus enrager encore et que vous ne souffriez pas. Vous voyez que je suis généreuse. Que cela vous serve de leçon à l’avenir. Baisez-moi, mon pauvre ange. Si tu viens tantôt, comme je le désire et comme je l’espère, il faudra que tu m’écrives une lettre pour M. Pradier. Je voudrais pour tout au monde rendre service à cette pauvre femme [1], car elle est digne de tout intérêt et de toute pitié. Je compte sur toi pour lui venir en aide. Tu es la providence des forts et des faibles, des heureux et des malheureux. Tu es mon Victor saint et vénéré que j’aime et que j’invoque à tous les instants de ma vie. Je voudrais donner ma vie pour toi et pour tous ceux que tu aimes. Mon Victor, quand je prononce ton nom, il me semble que cela fait jaillir des étincelles à mes lèvres et je sens une flamme s’allumer dans mon cœur. Tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir à quel point tu es aimé par la pauvre femme qui te gribouille ces mots. Sois béni, mon Victor adoré, dans tes chers enfants. Sois heureux, tu ne le seras jamais autant que tu le mérites et que je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 71-72
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « guéris ».
b) « cet ».
c) « préocuperait ».
d) « fait ».


25 juillet [1845], vendredi soir, 6 h. ½

Merci, mon bien adoré, merci pour ces pauvres gens, merci aussi pour moi qui suis toujours heureuse et ravie d’avoir à admirer ta bonté inépuisable envers tous ceux qui l’implorent. J’ai été bien heureuse du couple d’heures que tu as passé auprès de moi. J’aurais voulu qu’elles ne finissent jamais, mais mon vœu n’a pas été exaucé. Ce n’est pas la première fois que je le fais et qu’on ne m’en tient pas compte.
Je viens d’envoyer ta lettre à ces bonnes gens. Je serais bien contente si cela pouvait leur réussir. Malheureusement, le Pradier est mou par nature et je n’ose faire aucun fond sur son obligeance, je voulais dire sur sa reconnaissance, car il t’en doit, et beaucoup s’il avait du cœur. Enfin tu as fait tout ce que tu as pu et cela d’une manière charmante. Nous n’avons rien à nous reprocher. Peu de personnes sans vanité pourraient se rendre cette justice en ce qui regarde l’obligeance.
Mon cher petit Toto, vous continuez à n’être pas vengé le moins du monde et à avoir très soif d’un habit neuf. Je vous conseille de vous en passer l’envie au premier marchand de coco venu et au plus [illis.] pique-prune [2] de la CAPITALE. L’un et l’autre satisferont les besoins qui vous pressent. Moi je continuerai à vous approuver de la voix et du geste comme il convient à une personne raisonnable et impassible. Si vous voulez, même, je ferai mettre une voie d’eau de plus dans ma fontaine. Je vous dis que vous êtes mon Toto ravissant que j’aime et que j’adore. Si vous venez ce soir de bonne heure, je vous promets d’être la plus heureuse des Juju. Mais, hélas ! si vous venez tard, je ne vous promets pas de n’en pas être la plus grognon et la plus triste. Ce n’est pas de ma faute, c’est la CELLE à mon cœur qui vous aime trop. Baisez-moi malgré votre soif ardente et votre habit trop large.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 73-74
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Selon Doublas Siler, Hugo écrit le jour même à Pradier. « Il s’agissait vraisemblablement d’obtenir une lettre de recommandation pour Eugénie Drouet, la cousine et filleule de Juliette. Pradier en écrira une en 1846. Eugénie ainsi que sa mère (la tante maternelle de Juliette) étaient brouillées avec Juliette depuis 1833. Elles avaient cherché à renouer avec elle dès 1843. (...( La réconciliation s’accomplit en 1846. » (Siler, t. III, p. 215)

[2Pique-prune : Scarabée.

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