26 avril 1860

Guernesey, 26 avril 1860, jeudi soir, 7 h.

Cher adoré, la seule variante qui puisse se glisser dans mes gribouillis quotidiens, c’est l’heure à laquelle je les écris, car pour mon cœur, ma pensée et mon âme, à quelque moment de la journée que je les prenne je les trouve toujours tout remplis de toi. Ce matin voulant faire faire mon ménage à fond je me suis levée de très bonne heure, ne voulant pas même prendre le prétexte de m’acoquiner dans mon lit pour t’écrire. Mon sacrifice ne m’a pas servi à grand-chose car le nettoyage fastidieux de ma maison a traîné en longueur sans que je puisse dire pourquoi ni comment. Mais en voilà suffisamment long sur cet intéressant sujet, j’aime mieux te parler d’autre chose : que tu es heureux, mon bien-aimé, de pouvoir lire Les Misérables et que je suis impatiente de pouvoir en faire autant à l’ombre de la COPIRE [1]. D’y penser l’eau m’en vient à la bouche et aux yeux car je me souviens de tout ce que ces chers Misérables contiennent de choses sublimement poignantes et navrantes et d’autres miraculeusement charmantes et divinement rayonnantes. Quel effet tout cela fera sur le public quand ce prodigieux livre paraîtra ! Quel bonheur pour moi de l’admirer avant tout le monde. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16381, f. 94
Transcription de Claire Villanueva
[Souchon]