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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 juin 1845

6 juin [1845], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon ravissant petit Toto, bonjour, bonjour, je t’aime, et toi ? Tu n’es pas venu, mon pauvre adoré, cela m’a renduea bien triste. J’ai beau savoir que tu travailles, je n’en suis pas moins très triste. J’ai besoin de te voir à tous les instants de ma vie. J’espère que ta première sortie sera pour moi, n’est-ce pas, mon bien-aimé ?
Je suis levée depuis six heures et demie du matin. Suzanne est toujours à peu près dans le même état. Cependant elle ne va pas pire, mais cette fille est si bête qu’on ne peut pas savoir si elle se sent mieux. J’attends le Triger. Je l’attendrai le plus que je pourrai. Cepen[dant] s’il ne venait pas, je serais forcée d’envoyer chercher l’autre médecin. Je voudrais avoir ton avis pour cela. Tâche de venir, mon cher amour, car je ne peux rien faire sans toi et je ne sais pas vivre sans ton amour. Comment va ta gorge ? Ta pauvre langue était horrible à voir hier. Je vois avec regret que tu t’obstinesb à faire usage de cet alun. Je suis sûre que loin de te faire du bien, cela te fait du mal. C’est trop corrosif pour que l’abus n’en soit pas dangereux. Vraiment, mon petit homme, tu devrais, pour moi, renoncer à ce remède.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, je vous aime, mais je ne suis pas gaie, car il y a trop longtemps que je vous ai vu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 263-264
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « m’a rendu ».
b) « tu t’obstine ».


6 juin [1845], vendredi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bien aimé, bien aimé, bonjour. Comment que ça va ce matin ? Ton souper ne t’a pas fait de mal ? Tu n’as presque pas mangé de la surprise, au grand désappointement de Suzanne et du mien, car je pensais que ton appétit ferait plus d’honneur à ton plat de prédilection. Du reste, il est encore là qui attend ton cher petit bec. Tu serais bien gentil de venir le finir ce soir. Je n’ose pas dire demain matin parce que les matinées me sont supprimées depuis longtemps.
Lanvin est venu tout à l’heure de la part de M. Pradier savoir ce qui s’est passé hier. J’ai dit la chose à Lanvin en lui recommandant de dire tout simplement à M. Pradier que l’examen avait été remis à quinze jours [1]. Claire lui dira ce qu’elle voudra demain, mais je n’ai pas voulu de moi-même mécontenter son père contre elle, quoiqu’elle ne le méritâta que trop.
Je voudrais savoir ce que t’aura ditb M. Varin, en supposant qu’il soit allé te voir, ce dont je doute fort. Tous ces braves gens-là doivent être furieux avec raison contre ta protégée. Je voudrais ne plus y penser parce que je sens que cela me contrarie et m’irrite encore autant que dans le premier moment. Cependant, il faut se résigner, trop heureux si la mésaventure se borne à quinze jours de retard. Mon Victor adoré, tu ne te plains pas, toi qui en aurais plus le droit que personne pour toute la peine que tu t’es donnéec et que tu as donnéec à tous ceux qui te sont dévoués parce que tu es essentiellement bon et parce que je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 265-266
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « elle ne le mérita ».
b) « t’auras dit ».
c) « donné ».


6 juin [1845], vendredi soir, 7 h. ¼

Tu ne viens pas, mon adoré, et pourtant j’ai bien besoin de te voir pour me rafraîchira un peu l’âme et la tête, car je t’aime et je suis bien fatiguée de l’horrible travail que je viens de faire. J’ai réunib toutes les dépenses relatives à notre déménagement depuis le 27 août dernier jusqu’au 28 mai de cette année. Le total en est effrayant : 2 256 francs 5 sous ! Non compris les faux-frais de chauffage, de lumière et de nourriture d’Eulalie et de sa sœur le temps qu’elles ont travaillé aux tapisseries. Il est vrai que sur les 2 256 francs 5 sous on peut défalquer les six mois payés d’avance 385 francs, ce qui laisserait encore l’énorme somme de 1866 francs 5 sous [2]. Je t’avoue que cette preuve de l’énorme dépense qu’a nécessité ce déménagement m’attriste et m’inquiète. Je crains que cela ne pèse pendant bien longtemps sur tes jours et sur tes nuits. Mon Victor adoré, je suis prête à vendre ce que tu voudras pour te venir en aide. Tu sais avec quelle loyauté je te l’offre et quelle joie tu me fais quand tu acceptes. Aussi, mon Victor bien-aimé, ne t’en fais pas faute si tu vois quoi que ce soit qui puisse boucher un trou en le vendant. Dis-le-moi, je t’en supplie de toutes mes forces et de tout mon amour.
J’ai la tête comme un boisseau de ce hideux travail. Tu pensesc qu’il a fallu rassembler les grosses et les menues dépenses éparses depuis 9 mois et surtout dans le 1er trimestre de l’année. Enfin c’est fait. Cet affreux ouvrage n’est plus à faire. Je voudrais maintenant qu’il en fût de même pour toi et que tu n’aies plus à y songer d’aucune façon. Je voudrais bien te voir, mon Victor chéri. J’ai besoin de te voir pour mon cœur qui a faim et soif de toi, pour ma tête qui a besoin de sortir de sa stupide application, pour mes yeux qui ont besoin de se reposer sur ta jolie petite figure. Je t’aime, je te baise, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 267-268
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « raffraîchir ».
b) « j’ai réunis ».
c) « tu pense ».

Notes

[1Le 12 juin, elle échouera.

[2Juliette commet une erreur de calcul. La somme restante, après le retrait des 385 francs, est de 1871 francs et 5 sous.

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