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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 avril [1845], jeudi soir, 10 h.

Tu seras bien étonné sans doute, mon Victor bien aimé, en voyant l’heure à laquelle je t’écris ? C’est la mère Lanvin qui en est la cause. Ce matin elle est venue au moment où je prenais la plume pour t’écrire. J’ai pensé qu’elle venait pour me demander un service et j’ai remis au tantôt à t’écrire. Mais la matinée s’est prolongée dans un bavardage sans fin, sur mon jardin, mon jardinier et autres choses plus ou moins intéressantes, si bien qu’il était plus de midi quand elle s’est en allée et je n’avais encore rien fait. Je me suis hâtée de faire ta tisanea et de m’habiller pour aller voir ma fille, me promettant bien de t’écrire aussitôt revenue. Je suis partie à près de 3 h. bJe suis rentrée à 6 h. ¼ et j’ai retrouvé quoi ? La mère Lanvin qui m’attendait, ou plutôt qui t’attendait. Elle venait te demander d’écrire, sous forme d’attestation ou de certificat, au propriétaire de la maison de M. Pradier qui paraît attacher une haute importance à cette attestation, c’est-à-dire à un autographe de votre seigneurie, ce qui n’est pas si bête pour un ex-notaire millionnairec [1]. Comme il faut que la chose soit décidée promptement, la pauvre femme t’a attendu jusqu’à présent, espérant peut-être que tu viendrais. Voilà, mon cher amour bien aimé, pourquoi je t’écris si tard malgré tout le désir et tout le besoin que j’avais d’épancher le trop-plein de mon cœur dans des mots plus ou moins mal choisis. Du reste, mon Victor, il paraît que toi aussi tu as été pris de ton côté puisque tu n’es pas venu me voir malgré tout le bonheur que tu sais me donner chaque fois que je te vois. Seulement tes occupations ne ressemblent pas aux miennes et je comprends qu’elle ne te laissent pas le temps même de penser à moi, dont tu es la vie et l’âme. Est-ce que je ne te verrai pas cette nuit ? Je sens que je ne dormirai pas bien si je ne t’ai pas vu au moins une petite minute. Tâche de venir, mon Victor bien aimé, à quelque heure que ce soit pour que je puisse commencer ma journée demain avec courage ? Quand je ne t’ai pas vu, je suis si malheureuse qu’il me semble que je ne pourrai pas achever la journée. Aussi je te suppliec de venir mon Toto chéri. Je t’en supplie de toutes mes forces. En attendant, je t’aime, je te baise en pensée et en désir et je t’adore.
J’ai vu Claire qui a été bien heureuse de ma visite. Mme Marre m’a fait la mine, à ce qu’il m’a semblé. Je te conterai cela quand tu auras le temps. Maintenant je ne veux que te baiser, te baiser et te baiser encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 93-94
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Siler]

a) « ta tisanne ».
b) Douglas Siler commence ici la transcription.
c) « milionnaire ».
c) « je te suplie ».

Notes

[1Pradier était domicilié depuis 1838 au quai Voltaire n° 1, propriété du comte Achille Vigier. Juliette confond-elle ce dernier avec le notaire Cousin, propriétaire du quai Voltaire n° 15 où il avait habité précédemment, de 1834 à 1837 ? (Siler, t. III, p. 181)

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