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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 20 décembre 1851, samedi matin, 8 h. ½

Bonjour toi que j’aime, bonjour mon Victor adoré, bonjour. Il y a aujourd’hui huit jours à la même heure je souffrais toutes les tortures et toutes les angoisses dans l’attente de tes chères nouvelles, et je me sentais mourir de peur entre chaque minute qui s’écoulait avec la lenteur d’une année [1]. Ce matin, je livre mon cœur à toute la joie de te savoir sauvé et mon impatience de te revoir n’empêche pas de sentir l’immense bonheur de la sécurité. Je suis si heureuse de te savoir hors de tout danger, je suis si reconnaissante envers le bon Dieu qui t’a si visiblement protégé que les heures de la nuit et du jour s’écoulent avec une rapidité qui ne me laisse que le temps bien juste de t’aimer, de bénir Dieu, de te désirer et de t’adorer.
Cher bien aimé, j’ai dû faire hier le sacrifice de ne pas te reconduire à la fatigue visible de ce pauvre M. Luthereau. Mais lorsque nous serons dans notre petite chambre, je ne me priverai pas avec cette facilité du bonheur de prolonger de quelques minutes la joie d’être avec toi. J’espère que cela ne peut pas tarder plus d’un ou deux jours. En attendant, je crois qu’il faut nous résigner à nous quitter plus tôt le soir et à ne pas user de la bonne complaisance de cet excellent M. Luthereau qui a plus de bonté que de force, plus de cœur que de jambes.
Cher petit homme, tu vas voir comme je vais t’aider à être le moins malheureux des proscrits, comme je m’y emploierai de tout mon amour, comme je t’obéirai à toute chose, comme je travaillerai auprès de toi, comme je tiendrai ton pauvre petit ménage propre et en ordre. Comme je te sourirai, comme je serai joyeuse, contente et heureuse. Comme je me porterai bien, comme je t’aimerai, comme je t’adorerai. Tu vas voir. Dès aujourd’hui je vais écrire à Mme Lanvin et à Suzanne pour leur dire ce qu’il faut qu’elles fassent ; en même temps tu me donneras un mot pour Guyot car elles ne peuvent rien faire d’utile sans cela. Je voudrais que Suzanne fut déjà ici pour m’aider à te soigner et à te dorlotera comme jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 480-481
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « dorlotter ».


Bruxelles, 20 décembre 1851, samedi midi.

Voilà le temps gâté, mon pauvre petit homme, c’est d’autant plus fâcheux que tu n’es pas encore installé et que tu as une chambre sans feu. Il aurait fallu te dépêcher à parer à tous les inconvénients de l’hiver avant qu’il ne fut sur ton cher petit dos. Maintenant, il faudrait ne plus perdre une minute dans l’intérêt de ta pauvre gorge à qui le moindre froid et l’humidité peuventa faire beaucoup de mal. Malheureusement, tu n’es pas pour les moyens expéditifs en général, et ton projet de grande salle ne peut que retarder bien longtemps ton installation confortable. De mon côté je ne peux rien faire toute seule, arrêtée que je suis dans tous mes projets par des difficultés de toutes sortes qui ne dépendent pas de moi. Ce matin Mme Luthereau m’a appris que le lit qu’on doit te prêter était destiné à Suzanne. Maintenant quel parti vas-tu prendre ? Feras tu venir le lit de Suzanne ou en achèteras-tu un pour elle ou pour toi ? En attendant, je ne peux pas écrire à Paris avant que tu ne m’aies donné tes ordres à ce sujet. Je vois avec peine que quelle queb soit la modestie de nos besoins il nous faudra dépenser plus d’argent que nous ne pouvons pour avoir les [choses ?] de première nécessité. J’ai beau simplifier le plus possible toutes les choses relatives à la vie matérielle, il reste toujours des choses que l’on ne peut pas supprimer tout à fait, et c’est à ce sujet qu’il faudra nous entendre aujourd’hui, une fois pour toutes, mon pauvre petit homme, pour faire venir Suzanne ici le plus TÔT POSSIBLE car sa présence devient de plus en plus urgente. Quelsc stupides gribouillis et comme j’aime bien mieux te baiser depuis la tête jusqu’aux pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 482-483
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « peut ».
b) « quelques soient ».
c) « quelles ».

Notes

[1Le 11 décembre en début de soirée Victor Hugo avait quitté Paris pour Bruxelles sous une identité d’emprunt, celle de l’ouvrier typographe Jacques-Firmin Lanvin. Juliette doit attendre le 13 décembre pour recevoir une lettre du proscrit l’informant qu’il était arrivé sain et sauf dans la capitale belge : « J’arrive et je t’écris. Doux ange bien aimé, tu peux partir ce soir même […] O cher doux ange, quel bonheur ! Je vais être réuni à toi ! Ma joie, ma vie ! » (Lettre de Victor à Juliette du 12 décembre 1851, 7 h, CFL, t. VIII, p. 1099).

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