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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 juin 1844

28 juin [1844], vendredi matin, 11 h.

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon bien-aimé chéri. Comment vas-tu ce matin ? As-tu terminé ton affaire avec ces messieurs [1] ? Je compte bien là-dessus pour avoir un peu de bon temps. Je ne t’ai pas vu depuis hier 7 h. mais aussi je suis bien triste et bien désœuvrée. Je cherche autour de moi comme une chienne à qui on a pris ses petits.
J’ai fait ce que tu m’as dit, j’ai éteint ma lampe à minuit et à 2 h. du matin, j’étais réveillée. J’ai été très longtemps sans me rendormir et puis, enfin, à 4 h. ½, je me suis encore éveillée. Tous ces réveils étaient entremêlés de mauvais rêves. Voilà comment j’ai passé ma nuit. Si je t’avais vu, cela ne serait pas arrivé, j’aurais dormi comme un sabot et j’aurais fait de beaux rêves. Vous voyez bien que c’est votre faute, vilain méchant. J’attends ton arrivée avec bien de l’impatience, Dieu sait quand tu viendras. Cependant je ne connais pas de plus affreux supplicea que d’attendre et ce supplicea, je l’ai tous les jours. Je me dis pour me consoler que ce n’est pas ta faute, que tu travailles et que tu m’aimes. Ai-je raison, mon Victor adoré ? M’aimes-tu bien vrai, bien vrai ? Si cela est, sois béni, je suis la plus heureuse des femmes et tous les supplicesb du monde ne sont rien auprès du bonheur d’être aimée de toi. Je baise tes chers petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 203-204
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « suplice ».
b) « suplices ».


28 juin [1844], vendredi soir, 4 h. ¾

Quel bonheur, mon cher petit bien-aimé, je vais enfin passera quelques doux instants avec toi. Je voudrais que Neuilly [2] fûtb au bout du monde, je serais plus longtemps heureuse. Enfin, si peu que ce soit, je suis trop heureuse d’en profiter, je ne me plains pas, au contraire, je crie bien haut mon « Quel bonheur !!!!! ». Je regarde déjà la pendule et je la trouve bien paresseuse : au gré de mon désir, je ne serai jamais assez tôt partie et je serai toujours bien trop tôt revenue. Ô, si j’étais fée, quelle petite soirée de 99 ans je me donneraisc ce soir ! C’est injuste que je ne le sois pas, un amour comme le mien devrait avoir cette puissance-là : à quoi sert d’aimer comme je t’aime pour être une pauvre vieille Juju comme uned autre ? En vérité, ça n’en vaut pas la peine. Taisez-vous, je vous dis que c’est injuste, mon beau Pécopin [3]. Vous vous en fichez, vous, parce que vous avez un talisman qui vous fait toujours beau et jeune mais moi qui suis une vieille Bauldour toute glabre et toute griffagne, je suis très mystifiée et je me révolte contre les injustices du sort qui donne tout à vous et rien à moi. Si jamais je l’attrape, ce coquin de sort, il aura affaire à moi. En attendant, je bisque, je rage. Je vous attends et je vous aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 205-206
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « passé ».
b) « fut ».
c) « donnerai ».
d) « un ».

Notes

[1À élucider.

[2Juliette accompagne Hugo qui se rend chez le roi.

[3Allusion à la légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour, racontée par Victor Hugo dans Le Rhin.

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