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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 juin [1844], dimanche soir, 9 h.

Voici le premier moment de la journée dans lequel je m’assois, mon cher amour. Aussi suis-je fatiguée, fatiguée, fatiguée. Je ne sais pas quand arrivera le moment où je pourrai me reposer car je vois que la tâche s’allonge devant moi indéfiniment. Encore, si je te voyais, si j’étais sûre que tu m’aimes toujours. Mais j’ai le cœur rempli d’inquiétude et de jalousie. Il me semble impossible que tu ne te lasses pas de moi. Tu as beau être bon et doux, je ne vois pas que tu m’aimes comme autrefois. J’ai l’enfer dans le cœur quand je pense que tu ne m’aimes plus et que tu peux en aimer une autre. Mon Dieu, si jamais cet affreux doute devient une horrible réalité, ayez pitié de moi car je ne sais pas ce que je ferai.
Je vais tâcher de veiller en t’attendant, je ne me coucherai pas pour pouvoir profiter de toi si tu viens. Tâche de ne pas venir trop tard.
Il fait un temps hideusement lourd et qui m’abrutit. Toute la journée il m’a semblé que j’avais le cœur et la tête dans une boîte de plomb. L’orage qui a éclaté ne m’a pas rafraîchie, je suis plus énervée encore qu’auparavant. Je crois que je ne pourrai pas supporter longtemps cette manière de vivre sans te voir. Si ce supplice devait se prolonger, j’aimerais mieux mourir tout de suite ou m’en aller avec ma fille n’importe où. Je n’ai plus de patience. J’ai la conviction d’ailleurs que je n’ai pas longtemps à vivre et je voudrais profiter de mon reste. Tu crois que je te dis cela en folie mais j’ai les yeux pleins de larmes et l’âme pleine de découragement. Je suis triste, triste, triste. Toi, pendant ce temps-là, que fais-tu ? Tu es heureux, tu es admiré, fêté, caressé, choyé, tu penses à moi quand tu peux, c’est-à-dire pas souvent. Je souffre mon Toto. Je souffre trop ; si tu savais combien, tu aurais pitié de moi et ton pauvre bon petit cœur se fendrait de douleur. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 131-132
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

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