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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mars 1844

14 mars [1844], jeudi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon petit Toto, bonjour mon adoré, bonjour. Je t’aime. J’espère qu’on t’aura laissé un peu reposé ce matin ? Car vraiment depuis huit jours l’ardeur des candidats allait jusqu’à l’inhumanité [1]. Heureusement que vous allez vous en débarrasser au moins pour un bout de temps. Je n’ose pas te dire de penser à moi parce que je sens que tu seras très affairé et très entouré. Je te suppliea, dès que tu seras libre, de venir auprès de moi, je l’aurai bien gagné.
Je vais écrire à Brest [2] tout à l’heure, je viens de tailler mes plumes à cette intention. Je veux remercier tout de suite ces braves gens de leur excellente gobloterie et puis je copierai Hugo Dundas [3] dans le cas où tu en aurais besoin.
Je suis souffrante ce matin. Cette migraine que j’ai depuis plusieurs jours me fatigue et m’agace. Je sens que j’aurais besoin de prendre l’air et de faire beaucoup d’exercice. Il fait bien beau aujourd’hui. L’ami Carême veut être agréable à tous ses sujets sans exception. Quel dommage que je n’en sois pas, je m’en serais donné à cœur joie, dussé-je me déguiser en hurlubière, en candidats ou autres chienlits. Pour avoir ma part d’air, de soleil et de liberté, il n’est pas de nez de carton assez monstrueux auquel je me condamnerais.
Je sens que je te dis de lourdes stupidités et quelqueb effort que je fasse, je ne peux rien tirer de plus drôle de ma pauvre cervelle frite. Je devrais me borner à te dire que je t’aime sans autre addition. Ce poisson d’ailleurs est le seul qui n’ait pas besoin de sauce. Je t’aime mon Victor, sois en bien sûr et tâche de me donner un peu de bonheur en échange. Je t’attends, n’oubliec pas cela mon adoré, et viens dès que ton Académie te le permettra. Je baise tes chères petites pattes blanches.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 289-290
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « suplie ».
b) « quelqu’ »
c) « n’oublies ».


14 mars [1844], jeudi soir, 6 h. ½

Je voudrais ne pas t’écrire, mon Toto, pour ne pas toujours recommencer ces éternelles doléances qui n’ont pas d’autre effet que de t’ennuyera énormément. Je crains que tu ne te méprennes sur mon silence, ce qui fait que je persiste dans mon triste gribouillis en tâchant de me contenir le plus que je peux. Il paraît que les suites des candidatures sont aussi absorbantes que les candidatures elles-mêmes [4] ? J’espérais que les élections terminées, tu aurais une minute à accorder à mon amour et à mon impatience, je me suis trompée. Depuis plus de six mois je me trompe toujours ainsi. Il faudra pourtant bien que toi et moi nous nous rendions à l’évidence. Les faits doivent être plus forts pour la conviction que les paroles les plus tendres qui se répètent tous les jours sans rien prouver.
Si tu me connaissais aussi bien que je te connais, mon Victor, tu verrais que je suis à bout de mon courage et de ma confiance et tu ne chercherais pas à me leurrer plus longtemps d’un amour que tu n’éprouves plus. Si tu as peur d’un éclat de ma part, tu te trompes. Les femmes comme moi ne font pas d’éclat. Elles peuvent le dire quand elles se croient aiméesb, c’est une coquetterie comme une autre, mais dès qu’elles sont sûres de n’être plus aimées, elles délivrent généreusement l’homme qu’elles aiment.

7 h. ½

J’en étais là dans mon gribouillis quand tu es arrivé. Je suis très heureuse de pouvoir le terminer par une douce protestation contre le commencement et tout le contenu. Je t’aime trop, mon Victor, pour que tu ne m’aimes pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 291-292
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « ennuier ».
b) « aimer ».

Notes

[1Victor Hugo est très sollicité par son rôle d’Académicien à ce moment-là puisque ses congénères et lui doivent élire les prochains membres à l’Académie Française.

[2Chez sa sœur et son beau-frère.

[3Poème extrait du recueil Toute la lyre (1888 et 1893). Poème composé par Hugo le 14 janvier 1844 (Toute la Lyre, I, 22).

[4Victor Hugo est très sollicité par son rôle d’académicien puisque ses congénères et lui doivent élire le prochain membre à l’Académie Française.

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