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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mars 1844

8 mars [1844], vendredi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour mon adoré, bonjour le plus beau, le plus noble et le meilleur des hommes. Bonjour, je t’aime. Comment vas-tu ce matin, mon cher bien aimé ? Ton rhume commence-t-il à se passer ? Tu sais que tu as de la tisanea toute prête. Tu serais bien gentil de venir en boire, en même temps je te verrais, je te demanderais pardon, je te baiserais et je t’adorerais.
Je t’ai obéi cette nuit, mon bien-aimé, je n’ai pleuré que de tendresse, je n’ai pas été triste. J’ai été pénétrée de ta bonté. Je pensais à toi comme à ce qu’il y a de plus grand, de plus doux, et de plus ineffablement bon sur la terre. Je te priais et je t’adorais comme j’aurais prié le bon Dieu et comme je l’adorerais s’il se montrait à moi dans toute sa bonté et dans toute sa gloire comme tu le fais tous les jours.
Je t’aime, mon Victor, et je suis une honnête femme, tu n’as rien à craindre de moi.
N’en doute jamais mon cher, cher bien-aimé. Le facteur a présenté ce matin au portier une lettre au nom de Mme Veuve Drouet, rue Saint-Louis, no 44. Le portier l’a refusée en disant avec raison que puisque la lettre était adressée rue Saint-Louis, elle n’était pas pour la rue Saint-Anastase [1]. Mais moi j’ai une effroyable peur que ce ne soit la femme de mon pauvre oncle qui ne soit venue demeurerb là dans l’intention, trop présumable, de nous tourmenter. Cet incident m’inquiète plus que je ne peux te dire. Mais quoi qu’il arrive, mon Victor, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 265-266
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « tisanne ».
b) « demeurée ».


8 mars [1844], vendredi soir, 7 h. ½

Je t’aurai encore bien peu vu aujourd’hui, mon Toto, cependant je t’ai fait de la bonne tisanea et je t’aime de toute mon âme. Vous voyez bien que ça n’est pas juste et qu’il vaudrait autant vous faire une infusion de chicotin [2] et vous détester, on en serait tout aussi bien récompensé. Taisez-vous, vilain Toto, taisez-vous. Je sais d’avance tout ce que vous allez me dire et que j’aurai la bonnasserie [3] de croire.
TAISEZ-VOUS ! J’aime mieux que vous ne parliez pas si bien et que vous veniez une heure plus tôt. Voime, voime, mais je voudrais bien avoir les deux choses à la fois : vous tenir dans mes bras toute une grande soirée et entendre votre ravissante petite voix me dire des paroles d’amour, que les anges eux-mêmes n’en ontb jamais entendu de si douces et de si tendres. Je ne suis pas dégoûtée n’est-ce pas ? Mais hélas ! Vous n’en viendrez pas une minute plus tôt et je vais passer toute ma soirée à vous regretter, à vous désirer, et à vous attendre. Toto, mon petit Toto, entends ma prière et reviens bien vite auprès de moi, tu me combleras de joie. Je baise toute ta personne adorée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 267-268
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « tisanne ».
b) « n’ont ».

Notes

[1Rue où réside Juliette Drouet.

[2Chicotin : Suc amer extrait de l’aloès, d’où ici une plante au goût désagréable contrairement à celui de la tisane.

[3Néologisme inventé par Juliette Drouet signifiant « bonté ».

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