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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 février [1844], samedi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon Victor bien aimé, bonjour mon cher adoré, bonjour, je te bénis, je voudrais baiser tes pieds. Comment vont tes pauvres yeux ce matin ? Comment va ton pauvre cœur blessé ?
J’aurais passé la nuit à relire les deux pages de tendresse et d’amour que tu m’as écrites cette nuit mais chaque fois que mes yeux revoyaient ce que tu as écrit sur ton pauvre enfant, le cœur me saignait et je n’avais plus la force d’aller plus loin. Comme tu le dis, mon pauvre adoré, désormais il y aura un anniversaire de deuil mêlé à notre anniversaire d’amour [1]. Mais si tu es le plus malheureux des pères, tu seras toujours le plus aimé des amants. Ton malheur ne peut pas être plus grand que mon amour. Je suis tourmentée, mon cher adoré, je t’ai vu les yeux si malades cette nuit que je crains que tu n’en souffres encore davantage ce matin. Tu serais bien bon de venir me les apporter à baiser tout de suite.
Tu n’auras pas de visites à faire ce soir j’espère et tu pourras me donner un peu plus de temps qu’hier. Je serai si heureuse de t’avoir un peu au coin de mon feu que je prie le bon Dieu de ne pas mettre d’obstacle entre nous pour ce soir. D’ici là, pense à moi, mon cher bien- aimé, et tâche de ne pas souffrir si tu peux. Je vais t’aimer, t’aimer et t’aimer pour que tu sentes moins te douleur. Hélas ! Si l’amour avait ce pouvoir tu n’aurais jamais souffert. Je baise tes yeux, tes lèvres et ton pauvre cœur malade.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 185-186
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


17 février [1844], samedi soir, 6 h.

Je te verrai donc toujours aussi peu, mon Toto ? Il n’y aura donc jamais un peu de bonheur plus un jour que l’autre dans ma pauvre vie ? Jamais je ne te verrai plus de trois minutes par jour ? Vraiment ça n’est pas assez et je trouve que les jours se suivent et se ressemblent trop pour moi. Tu étais si pressé, tantôt, que tu n’as pas même pris le temps de tourner la tête pour me voir encore une fois. Moi j’étais à mon poste. J’y suis toujours quels que soienta l’ébouriffement, le désordre et la saleté de ma toilette. Je me mets à la fenêtre sans tenir compte des passants qui peuvent se demander quellea est la vieille sorcière qui se montre ainsi accoutrée en plein jour. C’est que pour moi vous êtes bien plus que la coquetterie, bien plus que l’opinion, bien plus que tout l’univers, vous êtes mon amour c’est-à-dire ma vie, ma joie, mon âme, mon ciel, mon Dieu. Vous êtes tout. Je ne suis pas contente de vous, mon adoré, ne croyez pas ça. Cependant vous m’avez écrit de bien douces choses cette nuit [2], mais d’où vient que votre conduite répond si peu à vos paroles ? Est-ce que je suis méchante en vous demandant cela ? Si cela est je m’arrête car avant tout, mon adoré, je veux que tu saches bien que tu m’as comblée en m’écrivant ces quelques lignes cette nuit, que je suis heureuse et que je crois en ton amour comme je crois que je [illis.].

BnF, Mss, NAF 16354, f. 187-188
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « quelque soit ».
b) « qu’elle ».

Notes

[1Chaque année, Juliette Drouet et Victor Hugo commémorent leur première nuit d’amour du 16 au 17 février 1833. En 1844 le deuil cruel qu’a vécu Hugo estompe la joie de cette célébration intime ainsi qu’en témoigne la lettre que lit Juliette : « Onze ans aujourd’hui, mon pauvre ange. Onze ans d’amour, onze années de bonheur ! Remercions Dieu. […] L’année qui vient de finir a été bien triste. Une moitié de mon cœur est morte. […] Un anniversaire douloureux se mêle désormais à notre doux anniversaire. » (Massin, t. VII, p. 840).

[2Juliette a reçu la lettre rituelle de Hugo qui commémore la première nuit de leur amour, celle du 16 au 17 février 1833.

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