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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 février [1844], vendredi matin, 10 h.

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon Toto adoré, bonjour comment vas-tu, mon pauvre cœur affligé ? J’ai pensé à toi toute la nuit, mon pauvre bien-aimé, j’ai prié le bon Dieu pour qu’il t’envoie des consolations égales à tes regrets et à tes douleurs [1]. Mon Victor, je t’aime. Je ne peux pas supporter la pensée que tu souffres et que tu es malheureux. Il me semble que c’est une injustice et un crime. Je doute du bon Dieu, je ne sais plus que devenir ni à qui me recommander. Je suis comme un pauvre corps sans âme. Mon Victor, c’est à toi que je m’adresse pour te suppliera d’avoir pitié de nous deux. Je t’en prie à genoux. Tâche de venir bientôt, mon adoré, que je sache comment tu vas. Le temps n’a pas tenu ce qu’il promettait depuis deux jours. Le voilà déjà gâté. Je le regrette pour toi, pauvre petit homme, qui ne trouves de soulagement à tes yeux qu’en marchant.
Tu n’as pas d’Académie aujourd’hui. Si tu pouvais venir te reposer à la maison, je te promets de ne pas te troubler et de ne pas faire de bruit. Je recommanderai même à toutes mes Cocottes le plus profond silence et je suis sûre qu’elles m’obéiront. Ainsi mon amour, si tu ne veux pas t’exposer à la pluie et à la crotte tu peux venir chez moi et tu seras sûr que je respecterai ton travail et ta rêverie.
En attendant, je te désire, comme toujours, et je t’aime de toute mon âme. Je baise tes pauvres yeux adorés.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 181-182
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « suplier ».


16 février [1844], vendredi après-midi, 4 h.

J’espérais que tu viendrais dans la journée, mon cher adoré, et que j’aurais eu le bonheur de te voir et de savoir comment tu vas. Il paraît que je me suis trompée puisque tu n’es pas venu. Tu auras eu sans doute des visites et des affaires ? J’aime mieux supposer cela que de penser que tu peux être malade, ce qui me serait odieux et insupportable. Cependant je ne suis pas tout à fait tranquille, tu ferais bien de te hâter de venir pour me donner un peu de sécurité et de bonheur.
Peut-être seras-tu allé chez Mme de Courbonne [2] ? Autrefois tu m’aurais emmenée avec toi et nous aurions été ensemble le temps d’aller et de venir. Mais hélas ! depuis longtemps tu as perdu ces douces habitudes. Cependant nous ne sommes pas plus pauvres qu’autrefois. Peut-être même en cherchant bien trouverions nous que nous le sommes moins. Cela tient donc à une autre cause que le défaut d’argent. Et de quelque prétexte plus ou moins spécieux dont tu colores ce changement, il m’est impossible de n’y pas voir ce qui est : l’indifférence.
Vois-tu, mon Victor, il n’y a pas moyen d’en douter et si tu es de bonne foi avec toi- même tu le reconnaîtras. D’où cela vient-il, de qui est-ce la faute ? Dieu seul le sait. Ce que je sais c’est que je ne t’ai jamais plus aimé, c’est que jamais je n’ai été plus avide de ta présence et de tes caresses, c’est qu’il me sera impossible de vivre sans ton amour. En attendant que tu conviennes de la triste découverte que j’ai faite déjà depuis longtemps, je souffre tous les tourments de l’enfer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 183-184
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo est attristé par l’anniversaire de mariage de sa défunte fille Léopoldine, qui a eu lieu la veille.

[2Depuis la Restauration, sous ce nom d’emprunt qu’avait adopté l’ex-épouse de l’artiste lyrique Nicolas Roland, Mme de Courbonne tenait un salon célèbre, fréquenté par le monde artistique et politique. A cette date, il était situé au 8, rue d’Anjou.

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