30 novembre 1843

1er décembre 1843

30 novembre [1843], jeudi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto chéri, bonjour je t’aime. Je viens de recevoir une lettre de M. Pradier à sa fille adressée. Je l’ai ouverte dans la crainte qu’il n’y ait eu quelque chose de pressé comme par exemple de lui dire de venir aujourd’hui ou demain à son atelier auquel cas il m’aurait fallu prévenir la mère Lanvin. Mais ce n’était qu’une réponse à la dernière lettre que Claire lui avait écrite^a, réponse très tendre et qui n’en laisserait rien^b à désirer s’il n’y avait pas toujours cette réticence déloyale. Tu la verras d’ailleurs car c’est trop près du samedi pour la lui envoyer à Saint-Mandé. Il paraît, même, qu’il y a eu un jour de retard pour la lettre à cause du n° effacé par le timbre car il y a au dos des mots sacramentels : à revoir inconnue. Voilà, mon Toto chéri, les nouvelles de ce matin.
Ce qui n’est pas une nouvelle, c’est que tu es bon entre tous les hommes bons, c’est que tu es le plus noble, le plus loyal, le plus généreux homme qu’il y ait sur la terre, c’est que je t’aime de l’amour le plus respectueux, le plus tendre, le plus dévoué, le plus passionné qu’une femme puisse éprouver. C’est que tu es ma vie, ma joie, mon souffle, mon âme, mon bonheur, mon tout.
Je voudrais bien que tu viennes mon adoré. Et surtout je voudrais bien que tu restes. Hélas ! Je sais bien que cela ne se peut pas aujourd’hui jeudi surtout, jour d’Académie. Je serai trop heureuse si en y allant tu peux me donner une petite minute le bonheur de voir ta belle et ravissante figure et de baiser ta chère petite bouche rose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 109-110
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « écrit ».
b) « qui en laisserait rien ».

30 novembre [1843], jeudi soir, 9 h. ½

Je viens de finir mes comptes du mois, mon adoré. Il résulte de toutes mes additions que j’avais oublié de marquer, 17 F. que tu m’aurais donnés^a dans le courant du mois. Je les ai rajoutés^b dans la recette sans le plus petit scrupule et maintenant la balance des comptes est parfaitement juste. Pendant que je faisais mes comptes Suzanne avait eu la hideuse invention de mettre Cocotte à côté de Jacquot sur la table qui au même instant l’a terrassée d’un coup de la grosse patte et qui s’est mis à lui donner des coups de bec dans le ventre. Tu penses quelle^c frayeur j’ai eue^d ! D’un seul coup j’ai renversé à terre les deux oiseaux pour les séparer. Puis j’ai repris ma pauvre Cocotte que je croyais tuée tandis que Jacquot était réintégré dans sa cage par Suzanne avoir force bagarre, force cris et force malédiction. La pauvre Cocotte en a été quitte pour la peur autant qu’on peut le voir jusqu’à présent. Mais cela prouve qu’il ne faut jamais mettre ces deux féroces oiseaux aux prises l’un l’autre car évidemment il y en aurait un de tué^een très peu de secondes. Voilà une histoire qui a failli devenir bien dramatique et qui m’aurait bien affligée car je suis très sérieusement attachée à Cocotte.
Il est probable, mon Toto chéri, que tu seras allé chez Villemain. C’est encore moi qui en ferai les frais de cette soirée consacrée à ce pauvre jaune Saint-Hilaire. Encore si cela pouvait lui être utile peut-être aurais-je^f le courage et la générosité de la lui donner. Mais cela ne servira rien qu’à me faire passer une soirée triste, voilà tout. Enfin, que ce soit pour ce vieillard suranné ou pour tout autre blanc-bec je n’en serais pas moins restée toute seule à t’attendre. Je ne peux donc que lui en vouloir. Je t’aime mon Victor adoré. Ô oui je t’aime bien.