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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 novembre [1842], dimanche matin, 9 h.

Je commence par te dire, mon cher bien-aimé, que je n’ai plus de papier et que si tu ne m’en apportes pas ce soir, je ne pourrai pas t’écrire demain. Je te le dis tout de suite dans la crainte de l’oublier. Il est vrai que tu ne liras cette lettre que la nuit prochaine mais tu pourras m’en apporter si tu viens et il faut que tu viennes, ne fût-ce que pour la fameuse perruque. Tâchez de venir pour n’importe QUOI et de n’y pas manquer. Je viens d’avoir le menuisier qui a donné du jeu à la porte de mon cabinet. Depuis hier, Dieu sait ce que j’ai dépensé, moi qui ne voulais rien dépenser en dehors des dépenses quotidiennes. D’abord le carreau, 5 F.10 s., un livre de dépense 4 F.10 s. Voilà tout de suite dix francs, sans compter Mme Guérard et la blanchisseuse. Mais c’est égal, je ferai tout mon possible, s’il ne me survient pas d’autres dépenses forcées, d’aller jusqu’à la fin du mois avec ce qui me reste. Ça ne sera pas ma faute si je n’en viens pas à bout. Mon pauvre petit homme chéri, je voudrais tant ne pas te tourmenter et ne pas te fatiguer de mes besoins continuellement, que si j’étais MA MAÎTRESSE, il y a bien des choses que je ferais pour t’épargner des nuits et des journées de travail. C’est bien vrai, mon pauvre ange, si tu pouvais voir mon cœur, tu verrais jusqu’à quel point c’est vrai. J’ai hâte de savoir comment va ta tête, je crains que ce changement de temps ne t’ait fait du mal, si j’en juge d’après moi, car j’ai un mal de tête à ne savoir que devenir ce matin. Peut-être feras-tu bien de prendre un vrai bain de pieds. Il me semble que cela te soulage ordinairement ! Moi, cela ne me fait rien du tout. La seule chose qui me guérisse, c’est toi. Dès que je te vois, je ne souffre plus, c’est ce qui fait que je sens mon mal si souvent. Mais je ne veux pas vous grogner, mon pauvre amour, puisque vous êtes malade. Je veux vous mettre dans du coton et vous dorlotera de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 239-240
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « dorlotter ».


20 novembre [1842], dimanche soir, 3 h. ¼

Il est temps que tu viennes, mon adoré, si tu veux me mener chez mon père [1] car voici l’heure qui s’avance. Je suis prête et archi-prête depuis longtemps. Je t’écris sur ma dernière feuille de papier. Tâche de penser à m’en apporter la nuit prochaine si tu peux, mon bien-aimé.
J’ai envoyé chercher ta montre et ton cordon mails il n’y avait que ta montre de prête, demain on aura le cordon. J’ai vu le coiffeur tantôt mais depuis je me suis décoiffée à cause du mal de tête affreux que j’ai. Mon rhume ne fait que croître et m’enlaidir et pour peu que ça augmente encore, je ne pourrai plus ni parler ni respirer. J’ai mis la féroce Cocotte aujourd’hui sur son bâton pour la première fois, mais il m’est défendu de m’en approcher à plus de dix pas de distance sous peine d’être dévorée toute vive. Je n’ai jamais vua une fureur plus soutenue que celle de cette petite méchante bête. Jamais je ne la dompterai, car plus je la comble de gâteaux et de gourmandises et plus elle m’abomine. Tu ferais bien de la donner le plus tôtb possible à Dédé qui, je suis sûre, l’adorera et se fera adorer par elle. On n’est pas d’une meilleure composition que moi, j’envoie mes rivales à domicile afin que ce soit plus commode. Voime, voime, Chi chi est pien ponne, brends quarte te la bertre [2]. Sur ce, embrassez-moi scélérat, et ne forniquez pas avec la cocotte, sous peine de passer par mon grand couteau. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 241-242
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « vue ».
b) « plutôt ».

Notes

[1L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est gravement malade.

[2Juliette imite ici l’accent allemand « Juju est bien bonne, prends garde de la perdre ».

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