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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 décembre [1842], mardi soir, 9 h. ½

Je suis toute triste, mon bien-aimé, et cependant tu as été la bonté, la douceur et la tendresse mêmesa. Je suis jalouse, mon pauvre ange, et tout ce qui pourrait rassurer une autre femme ne me rassure pas, moi, parce que je t’aime trop. Je sens pourtant que je ne dois pas être un obstacle à tes affaires. Je sais d’avance que toutes mes précautions ne te garantiront contre aucune séduction si tu ne m’aimes plus ou si tu m’aimes moins, ce qui est la même chose. C’est pour cela, mon adoré, que quel que soit mon chagrin, je te prie de passer outre et de faire ce que tu crois nécessaire de faire dans tes intérêts. Je m’en rapporte à ta loyauté et je me confie en ton amour qui est toute ma sécurité, toute ma joie et toute ma vie. Va donc chez cette femme, puisque tu crois que cela peut te servir. Je te promets de ne pas t’en empêcher, de ne pas te tourmenter et de ne pas me faire du chagrin si je peux.
Il paraît que Lanvin est venu tantôt, qu’il a sonné et que Suzanne ni moi ne l’avons pas entendu. Il a laissé chez le portier l’exemplaire complet de tes œuvres complètesb, probablement celui destiné à mon beau-frère. Je n’ai pas résisté à l’envie de relire tous ces titres, de toucher toutes ces feuilles qui contiennent tes pensées. J’ai voulu aussi voir les images.J’en ai trouvé peu de nouvelles et beaucoup d’anciennes absentes. Je me réjouis pour ce pauvre beau-frère quand il recevra ce magnifique cadeau. Cadeau d’autant plus précieux que tu écriras quelque chose de ta chère petite main sur le premier volume, n’est-ce pas, mon adoré ? Je regrette que D.D. [1] et son frère n’aient pas pu trouver quelques volumes dépareillés, quelques images d’hasard pour mes pauvres goistapioux [2]. Ce sera pour une autre foisc. En attendant, je te remercie, mon bon ange, pour cette pauvre famille qui va être comblée grâce à toi. Merci, merci mon Toto, je t’aime. J’ai bien mal à la tête, mon cher adoré, peut-être me trouveras-tu couchée, ne t’en effraye pas. Dès que je t’aurai vu, je serai guérie. En attendant, je t’aime, je pense à toi, je t’admire et je te bénis.
Dépêche-toi de venir, mon Toto, que j’aie le temps de te voir et d’entendre ta chère petite voix qui me calme et qui me ravit. Je te désire, je t’aime et je t’aime, tout plein mon cœur et tout plein mon âme.
Nous avons été bien heureux ce matin, cela devrait t’encourager à revenir toutes les nuits. Oh ! Si c’était moi qui sois toi, je n’y manquerais pas, Dieu le sait. Mais, hélas ! c’est bien moi qui ne suis que trop moi et qui ne peux bien que t’aimer dans le vide.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 329-330
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « même ».
b) « complettes ».
c) « autrefois ».

Notes

[1Graphie fantaisiste de Dédé.

[2Juliette a fait demander aux enfants de Victor Hugo s’ils avaient des affaires auxquelles ils ne tenaient plus afin de les envoyer aux enfants de sa famille en Bretagne. Elle est en effet en train de préparer l’envoi des œuvres complètes de Victor Hugo à son beau-frère Louis Koch, et souhaitait y joindre quelques cadeaux pour ses neveux.

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