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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 décembre [1842], jeudi matin, 8 h.

Je t’écris à la chandelle, mon cher amour, parce que le jour est encore trop douteux pour le faire sans cela. Comment vas-tu ? Comment m’aimes-tu mon Toto adoré ? Moi j’ai mal à la tête et je vous aime plus que de toute mon âme. Je vous écris tout de suite une grandissime lettre parce que je ne sais pas à quellea heure je serai débarrassée de mon aria ni dans quel état je me trouverai après. J’aime mieux être en avance qu’en retard avec vous, c’est à dire avec moi. Si vous étiez animé du même sentiment, je ne serais pas si souvent à vous attendre et si souvent triste et malheureuse. Taisez-vous, vous savez bien que vous n’avez pas de bonne raison à répliquer. Je vous prie de m’apporter du papier car voici la dernière feuille sur laquelle je vous écris. Je suis sûre que vous n’y penserezb pas mais enfin je vous aurai averti et ce ne sera pas ma faute. Jour Toto. Jour mon cher petit o. Je vous aime, qu’on vous dit. Ne soyez pas triste, mon Toto chéri, vous verrez que vous serez heureux. Baise-moi, mon cher petit homme. Vous êtes un bon petit tranche-montagne [1] et vous avez très bien fait honneur à votre surnom hier soir. Je vous rends cette justice parce que vous la méritez. Cependantc, je voudrais que vos actions héroïques soient plus fréquentes et plus complètesd encore. C’est à vous à les mystifier et à les perfectionner, pour cela vous n’avez qu’à repasser vos anciens triomphes si magnifiques et si foudroyants et dont le souvenir m’éblouit encore à l’heure qu’il est. C’était le fameux temps et de la fameuse ouvrage d’y penser, j’en suis toute émerveillée. Vous devriez bien recommencer pour que j’admire à l’aune même et non plus de mémoire comme je suis forcée de le faire jusqu’à présent. Autre temps, autre Toto. Mais ce n’est pas [à ?] lui de me plaindre aujourd’hui car vous avez manifesté cette nuit de très bonnes intentions … … et même un peu plus que ça. Vous êtes mon Toto bien aimé.
J’enverrai chez Guyo dans une heure. J’espère qu’il y sera et que je n’aurai pas l’ennui de faire revenir l’homme de la poste, chose toujours fort désagréable. J’ai encore à me peigner au son, ce qui n’est pas une petite besogne. Il faut que je me dépêche bien vite. Dieu, quelle affreuse corvée et que tu aurais bien fait de ne pas me jeter dans cette abominable machinerie. Maintenant, il n’y a presque plus possibilité de faire autrement mais, outre que cela m’ennuie horriblement, cela me fatigue on ne peut pas plus. Si j’avais su ce que c’était, je ne l’aurais jamais commencé. Enfin, c’est fait, il faut la continuer bon gré mal gré. Mais c’est bien ennuyeuxe. J’attends tantôt avec impatience pour te voir car je sais bien que tu ne viendras qu’après ta répétition [2]. Tâche de venir au moins tout de suite après. Je n’ose pas te dire de penser à moi d’ici là et de m’aimer parce que tu n’en auras pas le temps. C’est une besogne que je ferai pour toi. Malheureusement elle ne peut pas me servir à remplacer la tienne. C’est égal, je la ferai en conscience à bouche et à cœur, que veux-tu. Baise-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 311-312
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « qu’elle ».
b) « penserai ».
c) « cependand ».
d) « complettes ».
e) « ennuieux ».

Notes

[1Tranche-montagne : fanfaron, personne se vantant de son prétendu courage (Source : TLF).

[2Victor Hugo est en répétition des Burgraves, qu’il a présenté au comité de lecture du Théâtre-Français le 23 novembre 2017.

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