Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Février > 28

28 février 1837

28 février [1837], mardi soir, 9 h.

Je viens seulement de terminer mes comptes, sans avoir ni dîné, ni allumé mon feu et sans m’être débarbouillée. Je n’en puis plus du froid aux pieds et de l’esprit tendu et j’enverrais de bon cœur à tous les diables les livres de dépenses, les jaloux et les jalousies. Je suis d’une humeur massacrante ; je pense à l’espèce de figure que tu me fais chaque fois que le moindre incident insignifiant arrive du dehors et malgré moi. De plus je rage de voir que malgré toute mon aptitude à tenir mes comptes, j’ai tous les mois des déficits à mon désavantage. Celui-ci : il me manque encore 4 F. 16 ½ sous et quoique tu croiesa que je les simule (les déficits), je te réponds que je n’enrage pas moins chaque fois qu’il faut te les annoncer. Au reste ma droiture dans ceci comme dans toutes mes autres actions me réussit aussi bien que si je n’en apportais pas du tout, ce qui peut me servir à réflexion.
J’écrirai ce soir à Mme Pierceau, tu verras la lettre et si tu y consens je l’enverrai par Suzette demain matin.
Je ne peux me retenir de vous dire que je vous aime, méchant et bête de petit homme que vous êtes. J’ai le cœur aussi gros d’amour que j’ai la tête remplie d’idées tristes et noires et c’est beaucoup dire. Mais je ne peux m’empêcher de vous adorer tout absurde que vous êtes, et je ne vous changerais pas pour le bon Dieu lui-même s’il voulait être mon amant, après cela j’aurais mauvaise grâce de me plaindre, car enfin puisque je vous aime comme vous êtes vous auriez bien tort de changer.
Viendrez-vous très tôt vous faire pardonner tous vos trimes  ? Si vous m’aimiez un peu plus qu’un chat ou qu’un chien, vous seriez déjà chez moi mais..... enfin... je suis très heureuse, voilà ce qu’il y a de bien sûr et je suis aussi geaie que mon bonnet de nuit noir, peut-être qu’en vous baisant depuis la tète jusqu’aux pieds, tout s’éclaircira et se dissipera sous les rayons de vos pieds bottésb ; en attendant vous permettez que je sois triste, que j’aie bien froid, bien mal à l’estomac et beaucoup d’amour. Aussi vous êtes obéi à souhait. Jour Toto, jour mon petit homme, jour mon petit chéri, je vous n’aime, je vous l’aime et même, je vous aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 219-220
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « croyes ».
b) « bôttés ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne