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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 avril [1837], mercredi, midi

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour. Regardez un peu cet horizon de papier barbouillé dans tous les sens. Eh bien ! ce n’est qu’un échantillon de ce que je vous destine aujourd’hui. Je vous promets à l’avenir de n’être pas en retard puisque vous avez la bonté de faire semblant d’en être fâché. Je me suis levée tard aujourd’hui mais c’est qu’aussi à cinq heures du matin je ne dormais plus, tourmentée que j’étais par ma gloutonnerie de cette nuit. Une autre foisa je résisterai courageusement à mes passions. En attendant j’ai passé une matinée fort laborieuse. Je vous aime, mon cher petit Toto, c’est une déclaration que je vous fais plusieurs fois par jour et que je ratifie toujours dans mon cœur. Je vous aime comme vous n’avez jamais aimé, je vous aime à l’infini, sans borne. Je ne vous ai pas écrit hier, mon cher adoré, parce que je craignais de gêner Mme Pierceau et puis parce que je ne savais pas que tu remarquerais cette lacune dans ma petite histoire de chaque jour. Sans cela je me serais peu occupée de déranger quelqu’un, je t’aurais écrit avec enthousiasme, avec bonheur. Une autre foisa je ne me ferai plus violence pour me priver d’un bonheur comme celui-là, je t’écrirai de partout. Il est vrai encore que je ne me suis occupée que de toi, que ma pensée n’a pas quitté la tienne, que mon amour, mon admiration et mon adoration sont restés fixés sur tes sublimes vers [1]. Tant pire, je le dis tout haut : pourquoi faites-vous des choses si belles qu’à moins d’être sourd et aveugle on est forcé de crier au MIRACLE ! C’est ce qui nous est arrivé hier plusieurs fois : QUE C’EST BEAU !!! QUEL BONHEUR ! et bien d’autres vociférations que j’épargne à votre modestie. Vous pensez bien, mon Toto, que si je n’avais pas eu cette porte ouverte pour écouter mon amour, je vous aurais écrit une grande et grosse lettre comme celle-ci pour me soulager un peu. Le temps paraît se conserver dans sa hideur habituelle, j’en suis fâchée car je t’aurais prié de me mener chez Mme Lanvin. J’ai à cœur de voir terminer l’affaire de la pension qui m’inquiète on ne peut plus. Mais le moyen de mettre un pied devant soi d’un temps comme celui-ci. Ô doux printemps ! Ô beau pays de France ! Que le diable t’emporte sous un ciel plus clément que celui qui a l’honneur de nous servir de plafond pour le moment. Et je te bénirai, et je ne te dirai pas les sottises que t’adresse un certain Toto de mes amis : ne me pousse pas ! ne me pousse pas donc pas ! ça me fait mal ! etc. que la pudeur me fait un devoir de supprimer. Jour mon petit o. Jour mon cher bien-aimé. Jour, je t’attends, viens vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 63-64
Transcription de Chantal Brière

a) « autrefois ».


19 avril [1837], mercredi après-midi, 2 h. ½

C’est encore moi, vieux Toto. Hum ! Hum ! Qu’est-ce que vous avez à dire, c’est bien fait. Ça vous apprendra à me faire des scènes quand je n’y suis pas. Je viens de travailler pour vous, je vous ai arrangé vos deux paires de gants car je ne veux pas vous fruster [2], pour bien dire, de la paire blanche que vous m’aviez confiée il y a quelque temps. En échange de mes bons et loyaux services, mon cher petit ROI, je voudrais que vous me donnassiez le plaisir de savoir que les livres sont enfin chez le relieur, ce qui ne serait pas malheureux après 6 mois !!! Pour peu que le relieur y mette le même temps cela fera juste un anniversaire. Voyons, cher petit paresseux, mettez-vousb en train une bonne fois et que cela finisse, je ne vous en aimerai pas plus mais je vous remercierai sur vos deux joues d’homme à BONNE FORTUNE. À propos de cela je voudrais bien vous voir, est-ce que vous n’allez pas bientôt venir, hum ? Je vais allumer un bon feu exprès pour vous car pour moi je m’en suis passé toute la journée, ce qui fait que je pourrais fermer ma porte avec mes deux pieds en guise de verrousc. Mon Dieu que cette Mme Lanvin me taquine avec ses lenteurs, j’aurais bien désiré y aller aujourd’hui, mais le temps, mais toi qui ne viens pas, mais, mais et tous les mais du diable dont je suis la déesse s’y opposent. Alors je me mets à vous aimer que de plus belle et voilà la chose. Vous seriez cependant aussi gentil que vous êtes aimé si vous veniez très tôt et ce ne serait pas peu dire. Où êtes-vous à présent ? Quelle nouvelle conquête faites-vous en ce moment ? Quelle espèce de trahison dois-je punir ? À qui dites-vous : Madame…Madame, Tarita Taritati, idiome très coupable et dont vous ne faites que trop souvent usage pour mon malheur. Mais je vous punirai si bien et de telles façons que vous ne jaboterezd pas d’ici à longtemps. Je vous aime, cher petit homme, et toutes ses rabâcheries n’ont pour but que de vous en convaincre. Si je n’y réussis pas je suis bien maladroite et bien bête car il est impossible de vous aimer mieux et plus que je ne le fais. Il vous serait très facile de vous en assurer si vous y attachiez quelque prix mais vous êtes très indifférent pour tout ce qui vient de moi. Enfin je continuerai de vous aimer comme si j’étais à la tâche afineque vous me trouviez à la besogne à quelque heure du jour et de la nuit que vous veniez. Et pour commencer je vous donne un million de baisers partout.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 65-66
Transcription de Chantal Brière

a) Juliette écrit deux fois « vous ».
b) « verroux ».
c) « jabotterez ».
d) « à fin ».

Notes

[1Hugo compose alors Les Voix intérieures.

[2Déformation volontaire de « frustrer », souvent employée par Juliette Drouet.

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