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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 décembre [1837], lundi après-midi, 3 h.

C’est toujours par vous que je commence toutes mes pensées et toutes mes actions, mon cher petit homme adoré. Avant de commencer mon remue-ménage, je veux vous dire que je vous aime de toute mon âme ; que vous êtes pour moi plus beau que le soleil et plus grand que le ciel ; que je veux vivre et habiter toujours en vous de préférence à tous le paradis ; que je voudrais que ton procès ne fût pas remis demain [1]. L’idée seule m’en donne des impatiences absurdes. Il y a si longtemps que nous attendons après des juges, un jugement et des jugements que ce serait bien ridicule de recourir [2] après tout cela pendant 8 jours encore.
Hou hou il ne fait point chaud. Mon pauvre gros nez a un aspect tout à fait fleuri et printanier qui fait plaisir à voir. Les roses, les violettes et les lilas s’y groupent admirablement. De loin je les prendrais pour un bouquet si je n’étais avertie par la douleur aiguë que j’y ressens que c’est un nez à l’état de congélation parfaite.
Est-ce que tu verras encore ton avocat aujourd’hui ? Ce serait bien terrible pour moi car lorsque tu le vois une heure je ne te vois pas de toute la journée entière ce qui établit un prorata par trop à mon détriment. Pardi si je t’aimais moins ou si je ne t’aimais pas cela me serait bien égal. Mais c’est que je t’aime et que je t’adore par-dessus le marché.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 132-133
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


4 décembre [1837], lundi soir, 5 h. ½

Cher bien-aimé, je vais me mettre au bain. Peut-être en éprouverai-je du soulagement car je souffre beaucoup et ce n’est pas le café qui en est cause car je souffrais encore plus ce matin qu’à présent. Le bonheur m’aura presque guérie. Maintenant je vais prendre un bain pour ma conscience. Soir pa, soir man. Je prévois que je ne vous verrai pas d’ici à longtemps et je suis triste malgré que j’en aie [3]. Il faut cependant que je m’y habitue. Cela fait si longtemps que cela dure que je devrais ne plus m’en apercevoira. Je devrais sans doute, mais je ne peux pas vous aimer voilà ce qui fait que je souffre de votre absence comme le premier jour. Je suis bien Bo-bonne n’est-ce pas ? Je vais me mettre au bain un peu tard et je tâcherai cependant d’y rester jusqu’à 9 h. si c’est possible parce que j’en éprouve toujours un si grand soulagement que j’y resterais toute la nuit si je pouvais. Ne vab pas t’effrayer de me voir dans le bain. Je ne suis pas plus malade que ce matin au contraire mais je suis si peu sûre de l’exactitude des baigneurs [4] que je les attrapec au vol quand je peux.
Soir mon petit homme. Je t’adore. Soir. Je baise vos petites mains roses et vos belles dents blanches. Je vous adore en même temps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 134-135
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « appercevoir ».
b) « vas ».
c) « attrappe ».

Notes

[1Allusion à l’audience prévue le 5 décembre, devant la Cour royale : la Comédie-Française a fait appel de la décision du Tribunal de commerce dans le procès qui l’oppose à Victor Hugo.

[2Jeu de mots entre « courir encore après » et « recourir » au sens juridique du terme.

[3« malgré que j’en aie » : malgré moi. C’est le seul emploi de « malgré que » autorisé par les puristes.

[4Ceux qui livrent la baignoire et/ou l’eau du bain.

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