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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 janvier [1842], lundi soir, 8 h.

Mon cher bien-aimé, je reçois à l’instant une lettre de Passy que j’ai ouverte, bien qu’elle ne fût pas de l’écriture de Claire, mais par un pressentiment irrésistible de quelque chose de triste et voici ce qu’elle contient. La rougeole s’est déclarée ce matin chez ma pauvre fille. On espère qu’elle aura son cours ordinaire et on m’assure (Mme Devilliers [1]) de tous les soins et de toute la sollicitude possible. Malgré cette assurance, malgré la bénignitéa de cette maladie lorsqu’aucun accident ne survient, j’ai le cœur serré et plein d’angoisse. Je me reproche amèrement d’avoir eu l’imprudence de renvoyer cet enfant à la pension pendant que la rougeole y était. Enfin, je suis très malheureuse, mon pauvre adoré. Toi qui aimes tant tes chers petits enfants, tu dois comprendre toute l’inquiétude et tout le chagrin que j’éprouve dans cette circonstance. Ma fille malade, loin de moi, et que la plus petite imprudence peut tuer dans cette affreuse saison. Mon Dieu, ayez pitié de moi.
Où es-tu mon adoré ? Il me semble que je suis plus seule contre le malheur, toi n’étant pas là pour me soutenir et me défendre contre les affreuses pensées qui me traversent l’esprit. Mon Dieu, quel malheur de n’avoir pas attendu qu’il n’y ait plus de rougeole dans cette maison pour envoyer ma pauvre fille. Encore, si je pouvais la garder et la soigner, je serais plus tranquille, mais la savoir dans une chambre dans laquelle on monte deux ou trois fois par jour peut-être, tandis qu’il faudrait ne pas la quitter et ne pas lui laisser mettre la main hors du lit, est affreux. C’est à en perdre la tête. Je ne me pardonnerai jamais d’avoir si stupidement exposé ma pauvre fille à ce danger. Vraiment, il y a des moments où le bon Dieu vous abandonne lorsqu’il vous laisse faire de pareille chose. Je suis vraiment bien malheureuse, mon Toto, tu comprends ça n’est-ce pas, mon pauvre bien-aimé, tu comprends qu’à vous deux, vous êtes toute ma vie. Mon Dieu, ayez pitié de moi. Où es-tu mon adoré ? Il est probable que tu iras au bal et que je ne te verrai peut-être pas avant demain. Ce serait affreux. Je ne peux pas passer toute cette soirée sans conseil et sans consolation. Il faut que je te voie, mon cher bien-aimé. Entends-moi et viens bien vite, je n’ai de confiance et d’espoir qu’en toi. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 25-26
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

a) « bégninité. »

Notes

[1À identifier.

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