5 janvier 1859

Guernesey, 5 janvier 1859, mercredi, 9 h. du matin

Bonjour, mon bien bon, bien-aimé et bien adoré petit homme, bonjour. J’ai beau faire force de voile et de rame, il m’est impossible de te souhaiter ce cher petit bonjour plus matin à cause de l’obscurité des matinées et de tous les triquemaques^a de l’hiver qui vous obligent à vous occuper du feu qu’on allume, de la cheminée qui fume ; sans compter les trois soixante jupons, jupes et casaquins [1] qu’on se met tous les jours sur le dos sous prétexte de CHALEUR et d’humidité. Tout cela prend beaucoup du meilleur de la journée, ce qui fait que je n’arrive à rien, pas même à écrire à mes pauvres bretons ni aux autres EUROPÉENS. Tout cela m’agace et m’impatiente plus que je ne peux dire. Ce n’est pas une raison pourtant pour t’en ennuyer^a toi-même, mon pauvre bien-aimé ; j’aime mieux penser que je t’aime et que nous passerons la soirée ensemble aujourd’hui chez le brave Marquand. Je ne veux même pas m’avouer que je regrette cette transportation de mon mercredi chez lui pour ne pas diminuer, même à son insu, le bonheur de son hospitalité si cordiale et si empressée. Aussi, je m’appliquerai ce soir à être aussi heureuse et aussi aimable que je pourrai [illis.] petit festival guernesiais. Quant à toi, tu n’as pas d’efforts à faire, mon cher bien-aimé, et tu portes naturellement la bonté, la gaîté, la sérénité et le bonheur avec toi comme l’oranger sa fleur parfumée et son fruit d’or. Moi je t’aime, c’est tout ce que mon cœur et mon âme réunis peuvent produire.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 5
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

a) « tricquemacs ».
b) « ennuier ».