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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 avril 1843, samedi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon cher Toto bien-aimé, bonjour mon cher adoré. Tu n’as pas été mouillé cette nuit, j’espère, ni tes chers petits pieds non plus ? Comment vont tes yeux bien aimés ? Il me semble que l’eau et le vinaigre ne les soulagent pas beaucoup ? Si tu essayais maintenant de ton eau de pavots ? Peut-être qu’elle te ferait du bien. Je voudrais ne pas te voir souffrir, mon bien-aimé, tu es si bon et si doux qu’il y a plus que de la cruauté de la part du bon Dieu à te faire souffrir. Quant à moi, mon cher petit, je suis bien mieux que cette nuit. Je ne me sens plus à peine de ma courbature et mon bras est bien moins enflé et moins douloureux qu’hier. Je suis prête à recommencer aujourd’hui la ravissante promenade d’hier quoique le temps ne s’y prête pas beaucoup. Il n‘y a pas à s’en plaindre, cependant, car nos Burgraves ne demandenta que pluie et bosse.
À propos des Burgraves, je continue de plus en plus à être bien vexée de ne pouvoir pas aller les voir. C’est bien méchant à vous, mon Toto, de me priver aussi longtemps du seul plaisir que j’aie en dehors du bonheur d’être avec vous. Sans parler de ma pauvre péronnelle pour qui ce sera aussi une véritable privation. Vous êtes très méchant et très bête. Voilà ce que vous êtes pour de bon et pour de vrai ; taisez-vous ! Je vous défends d’aller voir les boutiquières du Palais-Royal si vous ne voulez pas faire connaissance avec mes griffes.
Je vous dirai, chemin faisant, que ma cocotte est intacte et ne se ressent pas du tout de sa chute d’hier. C’est une cocotte dramatique de première force. Ceci me fait souvenir que Richi vous a remis une bonne lettre hier. Pour peu que son premier comique soit aussi drôle que lui je vous conseille de lui faire obtenir un engagement de trente-cinq ans au théâtre Royal de Quimper-Corentin. Voilà ce que vous attirent vos privautés avec votre perruquière. Bientôt vous serez entraînez à dédier vos ouvrages à l’illustre merlan [1] dont vous admirez la femelle. Voime, voime, cela vous fera beaucoup d’honneur et à moi aussi pôlisson.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 77-78
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « demande ».


29 avril 1843, samedi soir, 5 h. ½

Voilà une petite pluie, bien mal avisée. Elle aurait dû mieux choisir son heure pour tomber, cette petite scélérate. Cependant il vaut encore mieux ce temps-ci que le soleil lourd et chaud d’hier. Je voudrais bien, mon Toto, que ce fût une raison pour toi de venir t’abriter chez moi ; mais c’est peu probable et je ne veux pas y compter pour ne pas éprouver de désappointement trop vif. Je suis aussi sensible au chagrin de ne pas te voir que le premier jour. Ainsi tu pensesa si j’ai bien lieu d’être bien souvent joyeuse. Ma pauvre péronnelle va être trempée comme un caniche. On dirait que ce temps est fait exprès pour elle et pour la queue des Burgraves. Chaque fois qu’elle vient ou qu’on les joue il pleut à des heures indues. C’est très bête de la part du bon Dieu. Il est vrai que vous avez vu Mme Colet née Révoil mais moi qui n’ai rien vu du tout je ne me trouve pas suffisamment indemnisée comme cela. Tâchez donc de venir bien vite ou sinon je vous promets d’être plus d’à moitié morte ce soir car j’ai un mal de tête et une irritation de nerfs qui ne promettent pas poire molle pour vous si vous ne vous dépêchez pas de venir me baiser sur toutes les coutures. Mon cher petit homme je vous adore, ça n’est pas neuf mais c’est bien vrai. Je n’ai de joie et de bonheur qu’en vous mais vous me faites la part trop petite.
Tu es venu, tu es venu, mon bon ange. Sois bénib. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 79-80
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « pense ».
b) « bénis ».

Notes

[1« Merlan » est l’argot pour « coiffeur », profession de Richi.

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