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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 octobre [1843], mardi matin, 9 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher amour. Tu n’es pas venu encore cette nuit, et quoi que ce soit ton habitude depuis longtemps, je ne peux pas m’empêcher d’être inquiète pour ta santé. Tu étais un peu souffrant hier. Est-ce que cela ne va pas mieux ? Ton Charlot serait-il plus malade ? J’ai beau me raisonner et me dire que ton indisposition et celle de ton fils n’ont rien de grave, que tu ne viens pas le matin, que tu ne viens pas depuis plus de quinze jours, j’ai toujours au fond du cœur une pointe d’inquiétude que je ne peux pas extirper. Je ne veux pas te gronder cher enfant, mais tu n’es pas gentil de me laisser te désirer et t’attendre si longtemps en vain. Vous mériteriez que je vous dise que votre petit arrangement n’est pas charmant mais je ne veux pas mentir et je vous avouerai qu’il est ravissant. Il fait aussi bien au jour qu’à la nuit et peut-être même encore mieux. Je ne trouve pas les glands criards du tout. Tâchez de les venir voir au jour pour en juger par vos beaux yeux.
Je suis plus que jamais de l’avis de ne pas mêler les dessins de Nanteuil avec les vôtres. On en mettra dans les deux cadres si vous voulez mais je désirerais que les vôtres fussent seuls. Cependant, je ferai ce qu’il vous plaira en cette circonstance comme en tout et comme toujours.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vous aime. Je ne sais pas quand vous me donnerez l’occasion de vous le prouver autrement que par des pattes de mouche sur du papier blanc. Je suis un peu lasse de ce régime peu nourrissant et peu récréatif. Vous ferez très bien de m’en faire changer le plus tôt possible. D’ici là, je bisque, je rage, je mange du fromage depuis le matin jusqu’au soir, et depuis le soir jusqu’au matin. Taisez-vous vilain. Je vous jouerai toutes sortes de vilains airs pour vous apprendre à me dire toujours la même chanson. Baisez-moi tout de suite et tâchez de m’aimer si vous ne voulez pas faire connaissance avec mon grand couteau. Je vous attends avec toute l’impatience dont je suis susceptible.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 241-242
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


24 octobre [1843], mardi soir, 9 h.

Vous êtes bien joli, mon Toto, et je n’aurais fait qu’une bouchée de vous si vous étiez resté une seconde de plus. Mais vous êtes bien prudent et vous vous êtes en aller tout de suite. J’ai l’espoir que la nécessité d’écrire et de répondre à ce tas énorme de lettres vous fera venir plus tôt ce soir mais hélas ! j’aurais bien peu de bénéfice à faire sur ce pauvre petit moment que vous passerez auprès de moi. C’est égal, j’aime encore mieux ça que rien. Au moins je vous vois. Si ça n’est pas tout à fait mon bonheur, ça l’effleure de très près. Venez donc bien vite mon cher adoré !
Je viens de copier la lettre de Lamartine>. Je ne saurais pas dire laquelle des deux lettres, la tienne ou la sienne, est la plus noble et la plus touchante. Pauvres pères désolés, que le bon Dieu ait pitié de vous. Il faut pourtant que je prenne sur moi de finir cette narration des trois derniers jours de notre voyage. Je recule toujours devant le souvenir de cette fatale nouvelle. Je donnerais tout au monde pour l’avoir finie. J’aurais donné mille fois ma vie et de grand cœur et avec joie, Dieu le sait, pour que cette horrible catastrophe n’ait jamais eu lieu. Mais puisque tu le veux, mon adoré, je t’obéirai.
Je voudrais t’avoir là, mon cher bien-aimé, pour te baiser, pour te consoler et pour t’adorer. Jamais tu ne sauras combien je t’aime et comment je t’aime. Tout ce que tu peux imaginer et souhaiter de plus dévoué, de plus tendre et de plus passionné n’approche pas de l’amour que j’ai dans le cœur pour toi. Quand nous serons morts tous les deux, tu verras seulement combien je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 243-244
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

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