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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 octobre [1843], samedi, 8 h. ½ du matin

Dans quelle profonde tristesse, mon adoré, tu étais plongé hier au soir. L’impression que j’en ai ressentie a influéa sur toute ma nuit. J’ai fait des rêves affreux et à présent j’ai le cœur plein de larmes qui refluent jusqu’à mes yeux. Que puis-je faire mon Dieu pour t’ôter sinon les regrets d’une perte irréparable, ce qui n’est pas possible, mais pour en adoucir l’amertume ? Quels maux, quellesc souffrances personnelles puis-je offrir au bon Dieu en échange de ta douleur, mon pauvre adoré ? Quels qu’ils soient je les accepte tous pourvu que je te voie sourire, de ce sourire doux et résigné que je te vois quelquefois. Ce ne sont pas mes propres souffrances que je redoute, ce sont les tiennes, mon adoré. Depuis onze ans bientôt que je t’aime, je n’ai pas encore pu m’accoutumer à la pensée de te voir un chagrin ou un malheur. Hélas ! le plus terrible et le plus redouté de tous est cependant venu te frapper dans l’être le plus charmant et le plus tendre qui était de ce monde de malheur [1]. J’aurais donné mille fois ma vie pour l’empêcher et maintenant je la donnerais dans ce monde et dans l’autre pour t’empêcher d’en souffrir mon Victor bien-aimé. Tout ce que j’ai dans le cœur d’amour, de sollicitude et d’adoration ne peut pas s’exprimer par des mots aussi n’est-ce pas eux que je voudrais charger de te prouver combien tu es mon bien-aimé, ma vie et mon âme. Je voudrais que le bon Dieu m’accorde l’honneur et la joie de mourir pour toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 177-178
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « ressentie ».
b) « à influer ».
c) « qu’elles ».


7 octobre [1843], samedi soir, 5 h. ½

Voici bientôt la nuit, mon adoré, j’ai l’espoir qu’elle te fera venir ; aussi, depuis ce matin je la hâte de tous mes vœux. Tu n’es pas revenu cette nuit, mon Toto, mais tu n’es pas malade n’est-ce pas mon adoré ? Tu n’es pas venu non plus dans la journée mais peut-être est-on revenu chez toi de Versailles aujourd’hui ?
Je pense bien à toi mon adoré, je ne te quitte pas une seconde de la pensée et du cœur. Je baise tes pauvres yeux pour les sécher, ta belle bouche pour qu’elle sourie, ton noble cœur pour qu’il ne souffre pas. Tu étais bien oppressé cette nuit mon pauvre bien-aimé. Je sentais que ta respiration pouvait à peine se faire passage à travers ta douleur. J’ai bien souffert moi aussi, mon pauvre ange adoré, et mon sommeil s’en est bien ressenti. Je me suis éveillée plusieurs fois en proie aux plus affreux cauchemars. Pourvu que tu sois moins abattu aujourd’hui. Pourvu que ta pauvre petite figure ravissante soita moins douloureuse qu’hier. Ô je donnerais je ne sais combien de ma vie, toute ma vie avec joie pour t’ôter cet affreux malheur qui te déchireb le cœur de ta vie mon Victor adoré ; pense à moi, pense que je souffre plus de tes douleurs que toi-même, prends pitié de nous deux.
Je baise tes pieds. Je t’envoie mon âme dans ce souhait. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 183-184
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « sois ».
b) « déchires ».

Notes

[1Le 4 septembre 1843, Léopoldine Hugo se noyait dans la Seine, à Villequier, à l’âge de dix-neuf ans.

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