8 juin 1860

Guernesey, 8 juin 1860, vendredi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour. Je t’envoie le trop-plein de mon cœur dans un baiser et je te souris au nez et à la barbe du piteux saint Médard. Je ne devrais peut-être pas me moquer avec cette désinvolture des saints qui pleurent au ciel leur vieux péché, vulgairement appelé AMOUR, moi qui hier encore lavait le mien dans un torrent de larmes comme si Dieu avait besoin de cette expiation pour me permettre de t’aimer sur cette terre comme on n’aime que dans le ciel. Je ne me plains pas et j’accepte avec bonheur de souffrir de mon amour, pour mon amour et par mon amour. J’espère, mon cher adoré, que tu as passé une bonne nuit et que tu ne souffres de nulle part ce matin. Cependant je trouve imprudent que tu tiennes ta fenêtre ouverte par ce temps froid et humide. Moi j’ai refermé les miennes depuis longtemps pour soustraire ma podagrerie aux conséquences de cette matinée brumeuse. Je tiens trop à aller revoir nos chères petites promenades ensemble à Jersey pour m’imposer à rester [illis.] cependant que tu triompherais là-bas. En attendant je me dépêche de bâcler mon ménage pour copier au plus vite ton speech que je suis impatiente de connaître. Puis je te promets de m’en tenir à mes incursions par délégation dans le bric-à-brac pour cette première et dernière fois. Je laisse à d’autres le plaisir de la chasse après-coup et l’orgueil du bibelot qu’on a pas tué lui-même et puis je te baise autant de fois qu’il y a de [illis.]

BnF, Mss, NAF 16381, f. 135
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette