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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 5 février 1853, samedi soir, 4 h. 

Je n’avais pas encore pu trouver le temps de te gribouiller mes tendresses depuis ce matin, mon cher petit homme, tant j’ai eu à faire dans mon ménage de deux liards. On ne peut pas se figurer combien on perd de temps à monter et à descendre pour chacun des petits détails d’une maison. Aussi, j’aimerais beaucoup une maison dont la cave et le grenier seraient de plain-pied de préférence à celle où tous les étages jouent à la crémisette [1] avec les diverses attributions du ménage ; cette complainte m’est inspirée par les dégringolades et les grimpements que j’ai faitsa toute la journée sous prétexte de pot-au-feu et de cuisine. Décidément j’aurais fait une médiocre vestale, au point de vue du feu sacré, car j’ai laissé éteindre le mien, de SACRÉ FEU, trois fois aujourd’hui. Heureusement que j’ai trouvé encore une étincelle de complaisance dans ma propriétaire jersiaise, laquelle l’a rallumé peut-être même un peu trop. A cela près, j’aime encore mieux ma soupe trop cuite que pas du tout. Voilà, mon cher petit homme, les stupides motifs qui m’ont empêchée de t’écrire plus tôt ; ça n’est pas de ma faute, AU CONTRAIRE, et je ne t’en adore que plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 137-138
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « fait ».


Jersey, 5 février 1853, samedi soir, 5 h. 

Voici Suzanne qui revient avec diverses commissions pour Saint-Hélier où elle est forcée d’aller pour ta lanterne. Chemin faisant elle fera les autres commissions, c’est tout simple. Mais ce qui le sera un peu moins, j’en ai peur, c’est le projet de porter un potage tout fait chez toi ce soir. J’avoue que ce problème que je suis loin de combattre par aucune réflexion me paraît difficile à résoudre. Pourtant, il ne serait pas impossible, la bonne volonté de Suzanne étant de l’adoration, qu’elle en vînt à bout. Aussi je suis loin de l’en dissuader. Du reste, tout en te gribouillant ceci, je crois avoir trouvé un moyen de faire la chose en petit. Les goinfres s’en passeront. D’ailleurs, ils y tiennent peu. Quant à moi, je comprends les mélancolies des estomacs féminins de Marine Terrace [2] et je compatis à leurs maux d’estomac. Ce sera donc avec un véritable plaisir que je partagerai ma soupe avec ces deux dames. En attendant je me dépêche de finir mon gribouillis pour aider cette pauvre fille dans ses préparatifs de cuisine. Je vous embrasse sur les deux ailes de mon oie que je vais découper en abattis pour rendre mon bouillon encore meilleur. À bientôt mon amour béni.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 139-140
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

Notes

[1« Crémisette » : autre nom du jeu des barres (Dictionnaire du bas langage d’Hautel, 1808).

[2Maison dans laquelle la famille Hugo a emménagé le 16 août 1852. Victor Hugo la décrit dans William Shakespeare : « un corridor pour entrée, au rez-de-chaussée, une cuisine, une serre et une basse-cour, plus un petit salon ayant vue sur le chemin sans passants et un assez grand cabinet à peine éclairé ; au premier et au second étage, des chambres, propres, froides, meublées sommairement, repeintes à neuf avec des linceuls blancs aux fenêtres. ». « À l’emplacement de Marine Terrace, sur la grève d’Azette, s’élève aujourd’hui un immeuble massif appelé maison Victor Hugo. » Gérard Pouchain, Dans les pas de Victor Hugo en Normandie et aux îles anglo-normandes, Éd. Orep, 2010, p. 56.

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