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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 28 janvier 1853, vendredi après-midi, 1 h.

Je pense à toi, mon petit homme, je pense aux trois raisons que tu m’as données hier au soir successivement pour me démontrer que tu m’étais bien fidèle. De ces trois raisons je n’accepte que la dernière : ton amour. Quant aux deux autres, le travail, le devoir, ce sont des garanties trop sujettes à CAUTION pour que je veuille leur confier mon bonheur. D’ailleurs, fussent-elles aussi solides qu’elles sont illusoires, je ne les accepterais pas davantage et je repousse de toutes mes forces et de toute mon âme une fidélité que je ne devrais qu’à un empêchement physiquea ou à un scrupule de conscience. Mon cœur est tout à la fois plus désintéressé et plus exigeant que cela. Il veut tout ou rien. Aussi, mon cher adoré, je ne veux pas que tu te considères comme suffisamment en règle vis-à-vis moi parce que ton travail et ta pitié font momentanément obstacle à des infidélités latentes, et qui ne demanderaient peut-être qu’un peu de loisir et d’occasion pour se produire. Car, je te le répète, mon cher adoré, mon cœur ne pourra jamais prendre les bons procédés pour de l’amour. Et le fît-il par illusion, qu’il les repousse sciemment et avec horreur. Tu n’as pas d’autre devoir envers moi, et celui-là ne s’impose pas, c’est de m’aimer en dehors de tout respect humain, de toute générosité et de toute pitié. C’est de m’aimer irrésistiblement comme je t’aime, voilà tout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 105-106
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « phisique ».


Jersey, 28 janvier 1853, vendredi après-midi, 1 h. ½

Je ne me souviens pas si c’est dans la journée que doit avoir lieu cette réunion de la commission Pénélope des proscrits, laquelle a pour occupation de défaire la nuit ce que tu as fait le jour, en attendant sa république Ulysse. Dans le doute, je t’attends, pour ne rien changer à mes habitudes. Mais j’ai de quoi me faire prendre patience, si tant est qu’une occupation quelconque puisse se substituer à l’impatience du cœur. Cependant, pour te tranquilliser et pour te plaire, j’admettrai cette fiction le plus que je pourrai. Mais que cela ne t’empêche pas de venir autant que si tu me croyais en proie au plus grand désœuvrement, à la plus stupide inaction et à la rage mue [1] la plus hideuse. En somme tout est dans tout : le vide de la vie dans l’activité des corps, la contraction nerveuse du cœur dans le sourire de la bouche et l’aspiration véhémente de l’âme sous le calme apparent de la résignation. Ainsi, mon doux adoré, tu ne risquesa rien en venant me voir plus tôt que je ne m’y attends, et tu n’as aucune crainte à avoir dans le cas trop probable où tu serais retenu plus longtemps que je ne voudrais loin de moi car, dans les deux cas, il y a amour, courage et reconnaissance dans mon cœur pour toi. À preuve c’est que je te baise de loin comme de près de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 107-108
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « risque ».

Notes

[1Rage muette.

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