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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 9 juillet, [18]70, samedi matin, 5 h.

J’espère, mon grand bien-aimé, que tu dors encore et que tout dort chez toi comme on dort chez moi en ce moment, moi seule exceptée. Je ne m’en plains pas autrement puisque je ne souffre pas et même je m’en loue puisque cela va me permettre de lire le nouvel article de ton Charles tranquillement [1]. Je m’en délecte déjà rien que d’y penser. Je ne sais pas si nous pourrons faire notre promenade aujourd’hui car le temps me semble bien malade. Peut-être [y] aura-t-il un bon moment d’ici à quatre heures, espérons le et attendons. Ne t’inquiète pas de mes rapports avec Mme Engelson, ils seront ce qu’ils doivent être, la réserve étant donnée [2]. Ce qui m’inquiète, moi, c’est l’hostilité de plus en plus déclarée de Mme Chenay contre la pauvre Mariette. Je crains que cela n’aboutisse à quelque éclat pendant la présence de tes enfants [3]. Déjà le choix d’une nouvelle cuisinière, non consenti par elle, a paru la contrarier beaucoup hier quand tu le lui as annoncé, ce qui ne promet pas poires mollesa [4] à la susdite cuisinière, surtout si elle défend son garde-manger contre Sénat [5]. Heureusement que tu es d’une patience à toute épreuve, espérons que tout le monde suivra ton exemple et que tout marchera sur des roulettes. Moi je suis sûre de mon cœur qui t’adore.

BnF, Mss, NAF 16391, f. 187
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « poire molle ».

Notes

[1Journal Le Rappel, 8 juillet 1870, Chronique Révolutionnaire, « Le Tombeau des Proscrits », par Charles Hugo : l’article est un hommage rendu à Armand Barbès décédé le 26 juin précédent. Charles, très atteint de ne pas avoir pu assister aux obsèques, se rend sur la tombe des proscrits à Jersey et se remémore l’un héros de la République : « Pour faire le portrait de Barbès, il suffit d’un fusil, d’un tas de pavés et de l’ombre d’une prison. » Au-delà de la figure révolutionnaire, le journaliste convoque l’image d’un homme jovial et humble, d’un ami. Finalement, l’oraison funèbre de l’exilé dénonce la tragédie de l’exil causée par le coup d’état du 2 décembre 1852 et l’Empire qui cumule ses victimes avec légèreté : « Ces irréconciliables qui vous faisaient pâmer de rire, c’est donc vrai, ils crèvent donc ! Ça cesse d’être drôle, si je ne me trompe. »

[2Mme Engelson est repartie la veille à Jersey. Juliette, qui ne cache pas la jalousie qu’elle éprouve à son égard depuis des années, essaye désormais d’entretenir de bonnes relations avec elle.

[3Victor Hugo attend l’arrivée à Guernesey de Charles Hugo, de sa femme Alice Lehaene et leur fils Georges pour le lundi 11 juillet.

[4« Ne pas promettre poires molles » : ne pas promettre que la situation est gagnée d’avance.

[5Leur ancienne cuisinière, Marie, a été renvoyée du service de Victor Hugo le 29 juin. Elle sera remplacée à la fin du mois par une nouvelle cuisinière : Ambroisine.

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