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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 novembre [1839], samedi matin, 10 h. ¼

Nous voici donc fâchés, mon Toto ? En vérité, c’est à ne pas y tenir. Plus je t’aime et moins j’en recueillea de joie et de bonheur. Lequel de nous deux a tort ? Je ne sais, mais ce que je sais c’est que je te suis fidèle autant et plus que tu peux le désirer et que je t’aime comme jamais homme n’a été et ne sera aimé par aucune femme. Je ne sais vraiment pas en quoi j’ai méritéb que tu te fâchassesc cette nuit ? Il faut avoir bien envie de bouder une pauvre femme pour faire des quelques paroles que je t’ai dites un grief suffisant pour t’en aller fâché et sans vouloir m’embrasser. Enfin ce qui est bien sûr et ce que tu sauras plus tard peut-être quand il ne sera plus temps, c’est que je t’aime comme jamais homme auparavant toi n’a été aimé par aucune femme et ne le sera jamais. C’est que je te suis fidèle de corps et de pensée autant et plus que tu ne peux le désirerd. Ce que je te dis est si vrai et me préoccupee si fort que je le répète mot à mot deux fois sans m’en apercevoir. Cependant cela ne t’empêche pas d’être toujours triste et soupçonneux avec moi. Peut-être est-ce que je t’aime trop et que je m’occupe trop de ce qui se passe en toi ? Je le crois, car autrement comment expliquerf que t’aimant de toute mon âme et ne vivant que pour toi, je suis si souvent au désespoir. Au reste c’est le privilège de tout ce qui est grand et élevé dans ce monde que d’attirer les orages et de fixerg à leursh sommités les nuages et la pluie. Ainsi il y a de la neige sur l’Himalayai dont le cratère fume et brûle sans cesse. Moi qui t’aime bien au-dessus de tous ces sommets-là et qui dépasse en passion toutes les montagnes du monde, j’ai aussi ma pluie, ma neige, mes brumes et mes tempêtes dont tu es le grand dispensateur. Tout cela ne m’empêche pas de brûler ; mon cœur est un foyer inépuisable d’amour que toutes les pluies et toute la neige que vous ferez tomber dessus ne parviendra pas à éteindre. Ainsi prenez-en votre parti, mon adoré, et ne vous étonnez pas si quand je vous verrai, et je prie le Bon Dieu que ce soit tout de suite, je vous saute au couj et si je passe outre votre mauvaise humeur en vous ripostant par des baisers. Je vous aime ainsi, ce n’est pas ma faute.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 31-32
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « receuille ».
b) « méritée ».
c) « fachasse ».
d) Présence d’une croix qui appelle la phrase qui suit (« Ce que […] apercevoir. ») écrite entre deux croix en travers de la page, verticalement.
e) « préocupe ».
f) « expliqué ».
g) « fixé ».
h) « leur ».
i) « l’ymalaya ».
j) « coup ».


9 novembre [1839], samedi soir, 4 h., ¾

Que tu es charmant, que vous êtes bon, mon adoré, que je t’aime et que je vous baise, mon grand petit homme. Je vous défends de recevoir la protégée de Mme Richi sous aucun prétexte. Je n’ai pas besoin qu’on vous débauche, vous l’êtes déjà bien assez comme ça, mauvais sujet. Quand je pense que vous avez eu le courage de rester toute la nuit fâché avec moi, c’est bien triste et vous n’auriez pas fait cela autrefois. C’est qu’autrefois vous m’aimiez presqu’autant que je vous aime tandis qu’à présent vous m’aimez à votre aise et sans être incommodé d’une nuit de froideur et de brouille entre nous deux. C’est très mal à vous, mon adoré. Je vous le dis très sérieusement car j’en ai été et j’en suis encore très triste dans le fond de l’âme. Vous êtes un très méchant petit homme et qui ne méritea pas que je vous aime comme je le fais. C’est bien vrai. Jour, mon cher bijou. Jour. Je vous aime. Je serai bien contente si vous revenez tout de suite. Dans tous les cas, vous ne pouvez pas tarderb puisqu’il faut que vous soyez à 6 h. chez moi pour le Manière mais cela ne me fait pas autant de plaisir que comme quand nous ne sommes que nous deux. Enfin il vaut mieux cela que rien et je serai très heureuse d’entendre ta chère petite voix et d’admirer ta charmante figure. Je n’ai encore vu personne de chez les Lanvin. Je ne sais pas qui ramènera Claire ce soir et si même on la ramènera, cela me contrarieraitc doublement parce que j’ai promis qu’elle rentrerait aujourd’hui et parce que j’ai fait rapporterd le lit de sangle. Cependant je ne me pendrai pas pour cela et pour pas que vous me donniez un peu longtemps votre chère petite bouche à baiser, je crierai par-dessus les toits : « QUEL BONHEUR !!!e » Il ne tient qu’à vous que je pousse mon rugissement.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 33-34
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « méritez ».
b) « tardé ».
c) « contrarirait ».
d) « raporter ».
e) Les trois points d’exclamation courent jusqu’à la fin de la ligne.

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