Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1870 > Mai > 21

21 mai 1870

Guernesey, 21 mai [18]70, samedi matin, 5 h. ½

Bonjour, mon cher grand, bon, bien-aimé, adoré, bonjour. Je prie nos doux anges [1] d’en haut de te dédier ma fête [2] en demandant à Dieu de te donner toute l’année santé, gloire et bonheur. Cette prière n’est pas aussi désintéressée qu’elle en a l’air puisque ta santé est ma vie et ta joie mon bonheur. J’ai déjà tout à l’heure lâché toute une volée de tendresses et de baisers vers toi, j’espère que pas un ne se perdra en route. Puis, sans pouvoir m’en empêcher, j’ai été relancer Suzanne dans son lit pour lui demander ma chère petite lettre, mais elle ne l’avait pas, hélas ! J’espère que tu ne feras pas languir trop longtemps mon pauvre cœur et que je vais voir bientôt ton facteur apparaître sous les traits de la bonne Mariette. En attendant je me livre à une restitus démesurée. Dame, ce n’est pas tous les jours FÊTE ! Quel dommage que tous tes chers biens aimés ne soient pas ici aujourd’hui, avec quelle joie je mettrais mes petits plats dans les grands ! Heureusement qu’ils ne peuvent plus tarder maintenant. Encore quelques jours de patience et ton Georges prendra possession de ses états. Je demande à être annexée sans coup férir avec tous mes sujets. Cher bien-aimé, j’ai le cœur plein de bénédictions qui demandent à se poser sur tous ceux que tu aimes. Mon âme fait un éternel va et vient de toi à eux et d’eux à toi. Je les aime et je t’adore. Le facteur ! Le facteur ! On demande le facteur !

BnF, Mss, NAF 16391, f. 140
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette


Guernesey, 21 mai [18]70, samedi matin, 7 h. ¾

Mon cœur, mes yeux, mon âme ne savent plus auquel entendre, mon cher bien-aimé, tant ils sont ahuris d’attendrissement, d’admiration et de bonheur ! Quelle adorable lettre et quelle merveilleuse surprise [3] ! Que tu es bon, que tu es généreux et charmant ! Les mots me manquent et je les remplace comme je peux par ceux-ci je t’aime, je t’aime, Je t’aime. J’ai embrassé la bonne Mariette, j’aurais embrassé Marquand lui-même dans le délire de ma joie ! Quel splendide cadre pour ce ravissant petit miroir ! Tout y est les fleurs, les oiseaux, le rayon et petit Georges planant sur le tout avec tes beaux vers pour ailes ! Comment te remercier, comment te dire ma reconnaissance ? Heureusement que j’ai l’éternité devant moi pour te bénir. J’ai baisé ma chère petite lettre tout d’abord devant tout le monde mais je ne l’ai lue que tout à l’heure quand j’ai eu verrouillé ma porte. C’est toujours ainsi que je te lis, mon cher adoré. Mon âme a besoin de ce recueillement pour mieux comprendre tes paroles sublimes et divines. Et je ne sors jamais de cette pieuse lecture sans être transportée d’amour et comme transfigurée déjà pour l’autre vie. Je t’aime ! ! ! Mariette m’a dit que tu avais passé une très bonne nuit, est-ce vrai ? Moi aussi j’ai très bien dormi, et je me porte plus que bien. Certes il y a de quoi ! J’ai déjà cherché où on pourrait placer ce byau chef d’œuvre. Je n’ai pas encore trouvé mais je m’en rapporte à toi pour trouver sa vraie place dans mon musée de souverain. En attendant je l’ai mis à l’abri de la poussière et à l’ombre dans le salon. Puis je vais retourner le voir dès que j’aurais relu mon adorable petite lettre.

BnF, Mss, NAF 16391, f. 141
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette

Notes

[1Léopoldine Vacquerie-Hugo et Claire Drouet-Pradier (fille de Juliette Drouet et du sculpteur Pradier), mortes toutes deux fort jeunes.

[2Sainte-Julie.

[3Pour la Sainte-Julie, Hugo offre à Juliette un miroir dont il a décoré le cadre d’oiseaux, de fleurs et d’anges et de ce quintil : « Passereaux et rouge-gorges / Venez des airs et des eaux / Venez tous faire vos orges / Messieurs les petits oiseaux, / Chez Monsieur le petit Georges ». Il est accompagné de ce mot : « J’ai fait ceci pour ta fête. Je te l’envoie. Il s’agit de Georges, des oiseaux, des fleurs, des anges ; cela te regarde ; tu as de tout cela dans le cœur. Ma douce bien-aimée, la vie ensemble, la mort ensemble, l’éternité ensemble, demandons cela à l’infini, et mettons nos âmes, et toutes les âmes que nous aimons, comme une couvée d’oiseaux, sous les grandes ailes de Dieu. Aimons-nous à jamais. » L’enveloppe est adressée à « Ma dame ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne