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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 août [1839], lundi matin, 10 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon cher petit homme, comment vas-tu mon adoré ? Tu ne veux donc plus, tu ne peux donc plus venir une pauvre petite fois de temps en temps déjeuner avec moi ? C’est bien monotone et bien triste et c’est acheter deux fois le bonheur que j’espère. Enfin, pourvu qu’il vienne encore en son temps, ce ne sera que demi-mal, mais je suis toute triste et toute découragée depuis quelques jours. Au reste, cela n’est pas étonnant je suis si souvent seule, j’appelle seule ne pas te voir. Tu penses bien que ce n’est pas un quart d’heure par jour qui peut me défrayer d’une journée d’attente et d’amour. Aussi je te le répète, il y a des moments de vide et de découragement terrible dans ma vie et où je jetterais le manche après la cognée, il y en a d’autres aussi où je crois au Bon Dieu, au paradis, au bonheur et à toi, ceux-là sont rares mais ils effacent en une seconde des mois de tourment et d’isolement. Je t’aime, mon Toto adoré, je t’aime. Je vais m’occuper de mes pavots aujourd’hui dare-darea. Je ne veux pas être en retard de ce côté-là. J’aimerais mieux me passer de chemise que de te laisser manquer de tisaneb pour tes yeux. Me voici rentrée dans ma solitude pour toute la semaine. Je ne me plains pas, au contraire. À propos de femmes et de bavardages, vous saurez que vous êtes fort admiré et fort encensé. Hier, parmi mes femelles, Mme Franque avait [vu  ?] le matin même un monsieur quelconque qui lui a dit, de mémoire, les vers de [illis.] et qui comparait tous les animaux hideux malfaisantsc que vous y avez mis aux [poétillons  ?], aux rabougris [feuilletonistes  ?] qui rampent, [coassent  ?] [et ?] crèvent de rage et de jalousie devant les chefs-d’œuvred. C’est le même monsieur qui va voir onze fois de suite Marion de Lorme avec son argent et dont je t’ai parlé il y a deux ou trois ans. Et puis je t’adore, voilà ce qui est sûr.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 245-246
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « dard dard ».
b) « tisanne ».
c) « malfaisans ».
d) « chefs-d’œuvres ».


19 août [1839], lundi soir, 6 h. ½

Tu travailles donc bien, mon petit homme, que tu n’aiesa pas une minute à me donner dans toute une journée ? Encore si vous me lisiez les actes au furb et à mesure que vous les faites, ça me donnerait du cœur au centre, mais bah, vous m’avez lu un pauvre petit sublime 1er acte de rien du tout et maintenant vous me laissez sur ma faim sans vous inquiéter de ce que je peux devenir dans une disette aussi compliquée que celle-ci [1]. Ça n’est pas gentil à vous et vous mériteriez que je vous bougonne comme un CHIEN quand je vous verrai. Il faudra cependant tâcher de me faire sortir un peu ce soir car j’ai un mal de tête absurde. Il y a eu hier huit jours que je n’ai mis le pied dans la rue, et en vérité c’est pas assez. Je ne vois pas venir la couturière non plus, aussi je viens de lui écrire tout à l’heure pour la presser un peu. Cependant si vous n’êtes pas venu quand j’aurai fini de vous écrire, j’enverrai la lettre à la poste, tant pis pour vous. Baisez-moi, vieux Loto et aimez-moi, vieux vilain adoré. J’ai cherché la lettre de Mr [Cavi  ?], je l’ai trouvée mais celle du protégé du père Pasquier, NON. Il faut croire qu’elle se trouve dans le lot de la soupièrec [vidée  ?] dans un tiroir.
Je vous ai vu, mon adorable petit homme et plus rien de triste n’est resté dans mon esprit. Combien de temps cela durera-t-il ? Autant que l’humidité de votre dernier baiser sera sur mes lèvres, après je retomberai dans mon impatience de vous voir parce que je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 247-248
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « n’ais ».
b) « fure ».
c) « soupierre ».

Notes

[1Hugo compose Les Jumeaux qu’il n’achèvera pas.

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