1er août 1839

1^er [août 1839], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé. Bonjour mon bon bon petit homme. Tu ne peux donc jamais venir déjeuner à présent ? Il y a plus de quinze jours que cela ne t’est arrivé et c’est bien long quand on n’a que ce repas-là pour se refaire des jeûnes prolongés et de l’abstinence la plus rigoureuse de toute la journée, y compris la nuit. Et puis enfin si tu ne peux pas absolument venir sans nuire à ton travail, eh bien je me résigne et je ne dirai plus rien dans l’espoir que ce sera bientôt fini et que nous ne nous quitterons plus de tout un grand grand mois [1]. Et puis si vous comprenez tout ce qu’il y a d’amour et de courage dans cette patience et dans cette résignation, vous m’aimerez de toute votre âme et je serai bien heureuse. J’ai oublié de te dire qu’il était venu hier un petit garçon de la part de Carcel apporter une lampe modèle couleur vert de mer veiné blanc, ce qui était fort laid. Le petit bonhomme a ajouté^a qu’on ne pouvait mettre en or que sur le bleu lazuli et que le bleu était aussi solide que n’importe quelle couleur, alors j’ai dit qu’on la fît bleue^b. Et voilà. Maintenant, comme c’est le petit apprenti peintre qui m’a dit ça, je ne sais pas quel intérêt Carcel avait à vouloir me persuader que le bleu n’était pas solide. Ceci est un MYSTERE INFERNAL que Dieu et lui savent. Baisez-moi. Vous êtes adoré. Je vais travailler toute la journée comme un pauvre cheval toujours pour vous IMITER, comme avec le café noir et autre. Je suis votre petit singe et je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 181-182
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « ajouter ».
b) « bleu ».