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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 novembre [1836], lundi, 11 h. ¾ du matin

Je suis vraiment d’une humeur chagrine et je sens que cela durera au moins jusqu’après ce soir. Je ne t’ai vu hier que cinq minutes. Cette nuit moins encore, sous prétexte de correspondance, de distribution de billets [1]. Permets-moi de te dire qu’il est au moins invraisemblable que tu prennes pour toi l’ennui et la responsabilité de billets dont pas un n’a été offert ni donné à une connaissance ou un ami à toi. Il me semble aussi que dans des moments comme ceux-ci, tu pourrais te décharger du soin de répondre à des lettres plus ou moins insignifiantes. En supposant que tu ne veuilles pas donner la moindre peine chez toi en chargeant de répondre à cette affluence accidentelle de demandes de toutes sortes, le temps que tu consacres à cela m’est enlevé. S’il ne s’agissait pour moi que de plaisir, je serais peut-être moins observatrice, mais c’est de la vie, sans exagération et sans emphase. Je ne vis pas, ou je vis si mal que je n’accepte pas la vie à cette condition de ne pas te voir, ou de ne te voir que quelques secondes au milieu de la nuit, tout cela pour laisser à tous le temps d’être satisfaits. Je ne suis pas généreuse, moi, sans vous parodier [2].
D’ailleurs tout ce qui se passe depuis quelque temps entre nous me prouve que vous m’aimez moins. Je suis bien décidée à ne pas laisser éteindre votre amour, cette lampe si merveilleuse dont j’illuminais mon âme, faute d’aliment. J’aime mieux souffler dessus tout d’un coup au risque de me retrouver dans mon obscurité première. Tout ce que vous me faites souffrir tend à ce but là ; vous le savez sans aucun doute, aussi vous ne serez point étonné quand arrivera la catastrophe.
Adieu. Où donc est la lettre de votre mascarade duchesse [3] ? Il paraît qu’elle est bien tendre, bien admiratrice et par conséquent bien précieuse puisque vous me la cachez.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 134-135
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

Notes

[1La Esmeralda, opéra de Louise Bertin sur un livret de Victor Hugo, inspiré de Notre-Dame-de-Paris, sera créé le soir-même à l’Opéra.

[2Juliette parodie la Tisbe dans Angelo tyran de Padoue.

[3Il pourrait s’agir de la duchesse d’Orléans.

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