22 octobre 1860

Guernesey, 22 octobre 1860, lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon doux adoré ; bonjour mon amour ; bonjour, mon bonheur. Comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi toute la nuit ? Moi je vais très bien à l’exception de mon bras droit qui est très rétif et très douloureux à chaque mouvement que je veux bien faire faire. à part cela « je suis de charme » comme on dit dans ce pays-ci et j’ai dormi comme une marmotte toute la nuit et puis la journée s’annonce très bien ce matin et je crois que nous pourrons faire une bonne petite promenade aujourd’hui en dehors de nos VISITES. J’ai hâte d’en finir avec elles, de visites, car j’ai horreur du convenu obligatoire et toutes les simagrées du MONDE et à ce sujet je pense avec une certaine inquiétude aux nouvelles pérégrinations de cette pauvre M^lle Loisel et de sa pauvre petite nièce. Déjà le bateau qui doit les emmener est signalé et j’en éprouve une vraie tristesse car je ne vois pas du tout ce qu’elles peuvent gagner en jetant à tort et à travers leur argent dans l’eau et sur les grandes routes. Enfin espérons que Dieu aura pitié de la folie maladive de cette pauvre femme et de l’innocente incapacité de la petite fille. En attendant, je leur souhaite de tout mon cœur un meilleur sort que celui que j’entrevois pour elles à travers ma raison et je t’aime de toutes mes forces et de toute mon âme sans jamais m’arrêter ni faillir à cette douce et rigoureuse besogne de ma vie.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 277
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette