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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 8 déc[embre] [18]72, dimanche matin, 8 h.

Je t’ai déjà donné mon âme tout à l’heure, mon cher bien-aimé, je te la redonne encore, je te la donne toujours, bien qu’elle ne m’appartienne plus depuis que tu me l’as prise. Tu ne t’es pas trouvé à ton poste au moment du coup de canon mais j’y étais pour toi depuis une demi-heurea. Ce qui fait que je t’ai vu et que je n’ai rien perdu de ton rapide passage. J’ai vu, plus encore avec le cœur qu’avec les yeux, que tu as hésité deux fois avant de disparaître en m’envoyant chaque fois un double baiser que je t’ai rendu sur place, immédiatement et au centuple. J’espère que tu as passé une bonne, bonne, bonne nuit et que rien ne laisse à désirer dans ta santé qui est ma vie. Et Ségur ? Ségur ? Ségur ? Ségur ? Je ne te laisserai pas tranquille tant que tu ne me l’auras pas livré : Ségur promis, Ségur dû [1]. En attendant, j’ai lu la lettre de Prévenaire à laquelle je n’ai rien comprisb, sinon qu’il t’engage à prendre son ours [2]. Moi qui ai peur de tout, en général, et des ours en particulier, j’y regarderais à des milliards de fois avant d’avoir confiance et de mettre mon saint frusquin [3] dans ses pattes. J’ai le courage de ma poltronnerie : elle n’en demande pas davantage. Il serait temps et plus que temps de songer aux poupées de tes petites filles si tu veux qu’on les habille chez moi [4]. Il ne faut pas attendre au dernier moment pour s’en occuper. Je compte t’en parler devant Mme Chenay ce soir afin qu’on prenne un parti là-dessus. Malheureusement, je n’ai plus aucun morceau à donner pour cette bonne œuvre depuis tout à l’heure, quarante ans que les étrennes ont fait leurs orges dans mes somptueux chiffons, il ne m’en reste plus du tout et je le regrette aujourd’hui. C’est à Mme Chenay à aviser. Moi, je ne sais plus que t’adorer.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 338
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « demie heure ».
b) « comprise ».

Notes

[1Louis-Gaston de Ségur est un évêque qui s’insurgea largement contre Les Misérables. Le 17 décembre 1872, Victor Hugo lui répond dans une lettre (probablement celle que souhaite copier Juliette Drouet lorsqu’elle souhaite qu’on lui livre Ségur) dont voici un extrait : « Il y a dans Les Misérables un évêque qui est bon, sincère, humble, fraternel, qui a de l’esprit en même temps que de la douceur […] d’où il faut conclure que Les Misérables serait un livre admirable si l’évêque était un homme d’imposture et de haine, un insulteur, un plat et grossier écrivain, un idiot vénéneux, un scribe de la plus basse espèce, un colporteur de calomnies de police, un menteur crossé et mitré. Le second évêque serait-il plus vrai que le premier ? Cette question vous regarde, monsieur. Vous vous connaissez en évêques mieux que moi. […] »

[2Brouillon ou version d’un texte inachevé qui n’a été ni corrigé ni publié.

[3Expression familière pour désigner son capital, ses biens.

[4Pour le Noël des enfants pauvres, Victor Hugo a décidé d’offrir des poupées en cadeaux pour le repas du 19 décembre. Pour Juliette, il s’agit de confectionner des habits pour ces poupées.

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