16 novembre 1872

Guernesey, 16 nov[embre] [18]72, samedi matin, 8 h.

Bonjour tendre, bonjour joyeux, bonjour heureux, bonjour panaché de bonheur aujourd’hui, mon adoré, puisque je t’ai vu et bien vu frotter ta belle barbe avec ta serviette [1], lire mon gribouillis et m’envoyer un bon baiser avant de disparaître. J’espère que toute cette douce télégraphie veut dire aussi que tu as bien dormi sur tes deux oreilles puisque pour toi cela veut dire le pionçage le plus parfait. Te voilà donc débarrassé de la scie ! Mais, comme un clou chasse l’autre, je n’ai que l’embarras du choix pour remplacer celle [illis.] pour commencer et pour recommencer, en voici une d’argent, de scie, pas la moindre pound à la maison depuis déjà trois jours et c’est aujourd’hui jour de marché et jour de gage pour Suzanne. Je ne te dis que ça ! Et vous osez, mon maître, pousser à la gourmandise et à la friandise des jeunes filles et même des vieilles déjà beaucoup trop sur leurs bouches et qui ne se font pas faute de goinfrer^a sans y être poussées par vous ! Cette imprudence, ô mon maître, augmentera d’une centaine de francs par mois votre carte. Mais, bah ! Vous êtes assez riche pour payer votre marivaudage de gueule et ce que j’en dis n’est que pour en batifoler avec vous et pour vous dire une fois de plus ce que vous savez mieux que moi : qu’En toute chose le mieux est l’ennemi du bien. Sur ce, je tire l’échelle et patatras pour ma morale. Mais vous voulez être un gaillard populaire [2], allez-y donc gaiment pourvu que vous m’aimiez comme je vous aime et que vous n’aimiez que moi je vous promets d’être bête puisque vous y tenez et de vous ruiner puisque cela vous plaît.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 317
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « goinffrer ».