Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Mars > 31

31 mars [1842], jeudi matin, 11 h. ½

Tu es malade, mon Toto. Tu es malade. Mon Dieu que je suis malheureuse et qu’est-ce que je vais devenir ! Par qui savoir de tes nouvelles, comment employer les mortelles heures de la journée avec cette affreuse pensée que tu es malade. Mon Dieu, quel affreux malheur, mais pourquoi aussi, mon pauvre adoré, depuis deux ou trois jours que tu es souffrant ne t’être pas reposé auprès de moi [1] ? Je t’aurais soigné et peut-être que le repos et les calmants auraient arrêté les progrès du mal et t’auraient guéri. Au lieu de cela, mon pauvre bien aimé, tu as voulu luttera et hier encore cette promenade de deux heures t’aura fatigué et aujourd’hui te voilà malade et moi au désespoir et ne sachant que devenir [2]. J’essayeraib d’envoyer Lanvin ce soir savoir de tes nouvelles. Mais d’ici là, mon Dieu, quel tourment ! Je n’ai pas de courage, mon adoré, il m’est impossible d’envisager sans un affreux désespoir la possibilité que tu sois malade loin de moi. Le bon Dieu m’éprouve bien cruellement en cette circonstance. Je suis bien malheureuse mon Toto. Guéris-toi bien vite, mon adoré, si tu ne veux pas que je perde le peu de raison qui me reste encore. Ne souffre pas, mon adoré Toto. Soigne-toi bien, ma vie, mon âme. Je vais prier le bon Dieu toute la journée pour que d’ici à ce soir tu n’aiesc plus aucun mal. Ô que je serais heureuse, désespérée que je suis, si tu entrais dans ce moment-ci dans ma chambre, guéri. Mon Dieu, mon Dieu, faites ce miracle en faveur de mon amour si triste et si malheureux et je vous bénirai à tout instant de ma vie. Mon Toto, soigne-toi, guéris-toi. Je souffre plus que toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 219-220
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « lutté ».
b) « j’essayrai ».
c) « n’es ». 


31 mars [1842], jeudi soir, 5 h.

Oh merci, mon bon ange, d’être venu me rassurer. Merci de toutes mes forces, de tout mon cœur, de toute mon âme. J’avais bien besoin de ce petit moment de bonheur pour me donner du courage, mon adoré, car jamais nouvelle triste ne m’a trouvéea plus anéantie et plus abattue. La pensée que tu souffres loin de moi est comme une veine ouverte par laquelle la vie de mon cœur s’en va sans que je puisse la retenir, quand bien même je le voudrais [3]. Mais je t’ai vu, je t’ai vu, mon Dieu, mon Dieu, plus beau et plus ravissant que jamais. Je suis plus calme, je suis presque tranquille, presque heureuse. Ô je t’en prie, mon Toto adoré, repose-toi, guéris-toi bien vite afin que le courage et l’énergie que tu viens de m’apporter tout à l’heure n’aient pas le temps de s’épuiser. Ne fais pas d’imprudence, même pour me donner la plus grande joie de mon âme qui est de te voir. Le temps est mauvais, tu as besoin de repos surtout et de chaleur aux pieds. Guéris-toi, mon adoré, avant de penser à moi. Je te promets d’avoir du courage. Lanvin va venir tout à l’heure, je le prierai de revenir demain sur les midi dans le cas, malheureusement très probable, où le médecin et la prudence te conseilleraient de rester encore un jour sans partir. Je t’aime mon adoré, ma santé, ma vie, ma joie, mon bonheur, mon âme, c’est toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 221-222
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « trouvé »

Notes

[1Juliette s’inquiétait déjà de l’état de santé de Victor Hugo depuis plusieurs jours, comme en témoigne sa lettre du 27 mars : « Tu ne souffres plus, n’est-ce pas mon Toto ? Il faut être bien attentif à tous ces petits symptômes d’échauffement pour les enrayer tout de suite, mon cher petit homme. »

[2La veille, Hugo est sorti avec Juliette faire une promenade en voiture, la première depuis que Juliette est tombée malade au mois de février.

[3Le matin même, Juliette apprend que ses craintes de la veille par rapport à la santé de Hugo se confirment : il est souffrant.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne