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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 octobre [1835], dimanche matin, 10 h. 20 m

Bonjour, mon adoré, bonjour. Tu n’es pas venu ce matin malgré tes bonnes promesses. Aussi je n’ai plus de confiance en vous et je ne vous crois plus. Comme je n’ai presque pas dormia de la nuit, j’ai eu le temps de penser à vous. Aussi je m’en suis donnéb à mon aise. Ah, mon Dieu ! Au moment où je t’écris ceci, je m’aperçoisc que ta chère petite bague n’est plus à mon doigt. Je me souviens que Mme Pierceau a demandéd à la voir hier, qu’elle l’a mise à son doigt, et dans notre grande rumeur de la soûlerie de cette fille [1], elle a et nous avons oubliée, elle, de ma la rendre, moi, de la lui demander. J’en suis vraiment bien contrariée. Je ne sais pas ce que je me ferais pour me punir de l’avoir oubliée une seule minute. Non pas qu’elle soit perdue, mais je serai privée, tout le temps que Mme Pierceau ne viendra pas, de la porter comme un talisman et un souvenir de notre charmant petit voyage. Vraiment, j’ai bien du malheur.
Il fait un temps bien sombre et bien maussade aujourd’hui, mais je le trouverais bien charmant et bien rayonnant si tu étais avec moi à l’heure qu’il est. Mon bon petit homme, sans doute tu travailleras encore aujourd’hui à tes épreuves [2] et je serai bien longtemps sans te voir. C’est bien triste mais je le supporterai avec courage en pensant que bientôt tu te reposeras auprès de moi, en pensant que bientôt je lirai toutes les merveilles de ton génie dont j’ai entrevuf un petit coin hier au soir, sans compter celles que j’enferme si précieusement dans mes petits coffres depuis un an [3] - ce qui ne les empêche pas de rayonner à travers.
Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 44-45
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « dormie ».
b) « je m’en suis donnée ».
c) « apperçois ».
d) « a demander ».
e) « nous avons oubliées ».
f) « entrevue ».


25 octobre [1835], dimanche soir, 8 h.

Depuis deux jours, je ne sais pas comment je vis, car je ne te vois pas ou si peu que ce n’est pas la peine de le dire. Je ne mange pas ou si peu que mon estomac oublie de digérer. Si cela continue, je serai réduite d’ici à très peu de jours à l’état de consomption le plus parfait.
Ce soir encore je n’ai pas pu dîner car tout ce qu’on m’a servi, au fromage prèsa, était immangeableb. Au reste, cette infortunée soûlarde vient de me demander la permission de se coucher disant qu’elle était hors d’état de rien faire parce qu’elle était malade, ce que je lui ai accordéc en espérant bien que la tisane dont elle va faire usage ce soir la rendra plus soûle que jamais ce qui sera gentil pour demain [4].
Je suis toute hébétée depuis hier. Tout ce qui m’arrive et tout ce qui ne m’arrive pas me met dans un grand état de tristesse et d’imbécillitéd. Pour peu que tu ne viennes pas encore ce soir ou que tu viennes à minuit par exemple, je ne te promets pas de n’être pas très très triste et très mareuleuse [5].
Mon bon petit Toto, ne me laisse pas trop longtemps sans te voir parce que vois-tu, je suis bien triste et bien isolée sans te voir et puis parce que je crois que tu m’aimes moins que les autres [années  ?] où tu travaillais autant et où tu venais tout de même souvent et longtemps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 46-47.
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « prêt ».
b) « inmangeable ».
c) « accordée ».
d) « imbécilité ».

Notes

[1La veille, Juliette Drouet a congédié sa bonne, pour ivrognerie.

[2Victor Hugo travaille sur les épreuves des Chants du crépuscule qui paraîtront chez Renduel deux jours plus tard, le 27 octobre 1835.

[3Hugo dédia plusieurs pièces des Chants du crépuscule à Juliette. Plus d’un an auparavant, le 19 septembre 1834, il avait donné à Juliette la pièce XXIV « Oh ! pour remplir de moi ta rêveuse pensée… » (BnF, NAF 16322, f. 208-210).

[4Juliette Drouet a signifié son congé à sa bonne, ivrogne.

[5Juliette a probablement voulu faire un jeu de mots en écrivant « mareuleuse » pour « malheureuse ». Elle utilise la même déformation de l’adjectif aux folios 140-141.

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