Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1839 > Juillet > 30

30 [juillet 1839], mardi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon petit homme chéri. Comment vas-tu mon amour ? Comment vont tes yeux ? La poussière ne leur a pas fait du mal ? C’était bien beau hier l’illumination de cette grande avenue et notre vertu a été joliment bien récompensée. Pour que celle de Claire soit COURONNÉE, je viens d’envoyer Suzanne chez les Lanvin dire qu’on ne la vienne chercher que demain après déjeuner. Ce n’est que trop juste, car la pauvre enfant devient bonne et charmante et pleine de raison.
Comme c’était beau hier la place Royale, à mon avis beaucoup plus que les girandoles des Champs-Élysées. Celles-cia avaient la beauté vulgaire et bruyante qui convient au peuple mais qui laisse après elle la poussière sur les habits et la fumée huileuse dans le gosier. L’autre était une charmante petite fête silencieuse et distinguée, illuminée de poésie et parfumée d’une végétation toute fraîche. En vérité je sens très bien en moi la différence de plaisir que j’ai eu dans cette même soirée, mais je ne peux pas la dire. Je suis comme les gens qui bégaient : les plus belles cho choses du du du mon monde sont sont sont sont ridi di di cu cu lesb dans ma bou bou che. Ce n’est pas ma faute mais je dois me taire et me contenter du seul mot que je peux dire couramment : JE T’AIME. Cependant ce serait bien plus gentil de te le dire sous toutes les formes et avec tous les mots. Décidément, c’est très malheureux d’être bête.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 173-174
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « celle-ci ».
b) « le ».
c) « courramment ».


30 juillet [1839], mardi soir, 6 h.

Je t’aime mon Toto. Je devrais me contenter d’écrire ce seul mot en haut et en bas de chaque page blanche sans en ajouter d’autres qui n’y ajoutent rien, si ce n’est de les gâter. C’est donc uniquement pour te satisfaire que je gribouille mon papier depuis un bout jusqu’à l’autre sans en sauter une ligne.
Je voudrais que tu puissesa nous mener dans un théâtre quelconque ce soir parce que ce serait un moyen DÉTOURNÉ d’être avec toi une partie de la soirée ; tandis que si nous ne sortons pas, il est probable que je ne te verrai pas de la soirée. Et quoique je sois très courageuse, je n’en suis pas moins très avide de bonheur, c’est-à-dire que j’ai faim et soif de toi comme une pauvre créature qui jeûne depuis un carême indéfini. Je te dis tout cela, par devant toi, pour ne pas te troubler, car je serais au désespoir de t’ennuyerb ou de te fatiguer dans un moment où tu as tant besoin de force et de tranquillité. Vois-tu, je ne grogne pas du tout, je t’aime et tout ce que je dis c’est de l’amour le plus tendre et le plus passionné. Je t’aime, je t’aime, tu es mon bon petit homme adoré. Tâche de venir te reposer dans mes bras cette nuit et puis nous déjeunerons ensemble, ce sera charmant. Baise-moi, aime-moi et reviens à moi aussitôt que ton inspiration te le permettra.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 175-176
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « puisse ».
b) « t’ennuier ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne