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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 [juillet 1839], dimanche, 10 h. du matin

Bonjour mon Toto. Bonjour mon petit saint. Je ne suis pas la première à vous embrasser, mais je suis la première à vous aimer. Et je me flatte que personne ne peut me devancer de ce côté-là. Vous avez été bien gentil cette nuit. C’est bien dommage que ça n’ait pas duré longtemps. Vous êtes retombé tout de suite dans votre préoccupationa et Dieu sait uneb fois là si vous en sortez facilement. Enfin si court qu’ait été mon bonheur je n’ai pas le droit de me plaindre, et je ne me plains pas, je désire, voilà tout. C’est aujourd’hui ta fête, mon Toto, et pour ne pas être seule à la fêter j’ai prié Mme Pierceau de venir dîner aujourd’hui avec moi, mais je doute qu’elle vienne, le temps étant presque mauvais, et elle presque malade. Au surplus, et pour ne pas déroger à d’anciennes et tristes habitudes, je m’attends aujourd’hui à être la plus malheureuse des femmes. Aussi tout ce qui m’arrivera de joie et de bonheur sera d’autant mieux accueillic que ce sera de l’inattendud. Me voilà dans la disposition d’esprit d’un personnage de Molière [1] qui regardait comme un bonheur sans égal de n’être pas roué de coups à la fin de la journée. Moi je m’estimerai très heureuse si je n’ai pas eu le cœur meurtri et l’âme froissée dans cette journée dédiéee à SAINT VICTOR. Baise-moi, mon Toto, pense à moi et ne me laisse pas toute la journée avec mon amour et ma jalousie. Et surtout tâche de me donner ton cher petit portrait pour me dédommager de ne t’avoir pas un jour comme celui-ci.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 137-138
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « préocupation ».
b) « qu’une ».
c) « acceuilli ».
d) « innatendu ».
e) « dédié ».


21 juillet [1839], dimanche soir, 10 h. ½

Tu m’as comblée de joie, mon amour, tu m’as ravie, mon Toto, merci merci, à toi et à Boulanger. Il est très ressemblant et je suis en extase devant ta chère petite figure si régulière, si douce et si fière. Oh ! oui, il te ressemble bien. Je ne fais que le regarder et plus je le regarde et plus je le trouve ressemblant. Je suis vexée jusque dans la moelle des os de la maladresse que j’ai euea tantôt. J’espère que cela pourra se réparer aisément ? Mais dans tous les cas, je ne veux plus qu’il sorte de chez moi. Je veux l’avoir sous les yeux comme je t’ai dans le cœur et qu’il ne me quitte plus jamais. Chère âme, remercie bien M. Boulanger pour moi, car grâce à lui j’ai un second toi, et vraiment ce n’est pas de trop pour toutes les heures d’absence et d’isolement dans lesquellesb tu me laisses.
C’est ce soir que les amis, les bouquets et autres végétationsc assiègentd ta porte et tes narines. Je te conseille d’entrebâiller la première et de fermer hermétiquement les secondes si tu veux échapper plus vite aux félicitations et au mal de tête. Pense, d’ailleurs, que je t’ai à peine vu et que je t’attends avec l’impatience d’une pauvre femme qui t’adore. Mon dieu que je t’aime. Quel bonheur, j’ai mon Toto !!!!e Il est très ressemblant, quel bonheur ! quel bonheur ! Je ne suis plus seule à présent et je pourrai baiser à toute heure du jour et de la nuit mon pauvre petit bien-aimé, si bon, si doux, si noble et si ravissant. Quel bonheur ! Oh ! quel bonheur !

Juliette

Il va sans dire que ma tristesse est devenue de la joie délirante depuis que je suis en possession de votre chère petite frimousse et que je suis une BÊTE. Baisez-moif.

BnF, Mss, NAF 16339, f. 139-140
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « eu ».
b) « lequel ».
c) « autre végétation ».
d) « assiège ».
e) Les quatre points d’exclamation courent jusqu’à la fin de la ligne et dépassent même la page.
f) « Baiser-moi ».

Notes

[1Fourberies de Scapin, Acte II, scène 5 : « Scapin : Que pour peu qu’un père de famille ait été absent de chez lui, il doit promener son esprit sur tous les fâcheux accidents que son retour peut rencontrer ; se figurer sa maison brûlée, son argent dérobé, sa femme morte, son fils estropié, sa fille subornée ; et ce qu’il trouve qui ne lui est point arrivé, l’imputer à bonne fortune. Pour moi, j’ai pratiqué toujours cette leçon dans ma petite philosophie ; et je ne suis jamais revenu au logis, que je ne me sois tenu prêt à la colère de mes maîtres, aux réprimandes, aux injures, aux coups de pied au cul, aux bastonnades, aux étrivières ; et ce qui a manqué à m’arriver, j’en ai rendu grâce à mon bon destin. »[Remerciements à Claude Bourqui et Bénédicte Louvat-Molozay].

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