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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 31 juillet 1858, samedi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher adoré, bonjour avec toutes les douces espérances de santé et de bonheur que la journée d’hier promettait à la journée d’aujourd’hui. J’espère encore que tu as passé une bonne nuit. En attendant, je me préoccupea déjà de t’avoir des épinards pour ton dîner. Il faudrait qu’il n’y en ait pas une feuille dans l’île pour que Suzanne n’en n’apporte pas, peu ou prou. La seule chose qui me tourmente à ce sujet c’est que je crains de contrarier ta femme. Cependant, que faire puisqu’il paraît presque certain que tes domestiques ne savent pas s’ingénier autant que le fait Suzanne pour te trouver ce que tu désires ? Comment faire pour concilier les susceptibilités de ta femme et mon dévouement tendre et empressé pour toi ? Si tu le sais, dis-le moi et je ferai tout ce que tu voudras pour te contenter. En attendant, je suis trop heureuse de te servir à genoux. Cher adoré, j’ai oublié de te remercier de ta charmante galanterie et pourtant Dieu sait si j’en ai été touchée. J’ai mangé ton abricot exquis et je garde le noyau que je planterai dans mon jardin pour perpétuer le doux souvenir de ta première promenade dans ton jardin après ta cruelle maladie. Je t’aime mon Victor, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 194
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « préocupe ».


Guernesey, 31 juillet 1858, samedi midi

Cher adoré, quel bonheur ! C’est bien pour de bon et pour de vrai que tu vas tout à fait bien aujourd’hui ! Le bon docteur ne se sent pas de joie et quant à moi, j’en ai une sorte d’ivresse qui me rend la vue trouble et la main tremblante. Il est convenu avec l’excellent Docteur qu’il dînera chez moi mercredi si tu es assez rétabli pour cela. Ce cher docteur si dévoué, si affectueux pour toi, je l’aime de toute la reconnaissance de mon cœur pour les bons soins éclairés et attentifs qu’il t’a donnés depuis un mois car, sans le savoir, mon pauvre adoré, tu étais sous le coup d’un horrible danger dont la pensée me trouble encore l’âme maintenant qu’il est tout a fait passé. Ô mon Victor, que Dieu me fasse mourir avant que j’éprouve de nouveau ces atroces angoisses dans lesquelles j’ai vécu depuis un mois.
Le pauvre Marquand qui sait que tu vas bien est venu m’inviter à dîner pour demain pour fêter ta convalescence. Je l’ai refusé en lui disant ce qui est vrai, que par une sorte de superstition tendre, je ne voulais pas sortir ni prendre aucun plaisir tant que tu ne serais pas tout à fait guéri, puis comme j’ai craint que sa belle-sœur Mme [illis.] et le citoyen Lefèvre [1] ne se méprennent sur mon refus et ne l’attribuent à une sorte de fuite absurde et ridicule, je l’ai prié de les emmener prendre une tasse de thé à la fin de la soirée, mais je t’assure que j’en suis plus contrariée que contente, car rien ne me plaît plus que t’aimer pieusement dans mon sanctuaire d’amour.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 195
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 31 juillet 1858, samedi, 8 h. du soir

Il m’a été impossible de savoir si on avait pensé à ton dîner de demain, mon pauvre bien-aimé, et par conséquent de rien faire acheter au cas où on aurait oublié quelque chose. Ce petit détail qui a son importance pourtant m’agace presque jusqu’à la tristesse et pour me délivrer de cette préoccupationa, qui pourrait devenir un remords si tu n’avais rien demain à manger, je vais envoyerb Suzanne acheter un poulet, quitte à le manger moi-même en laissant s’amonceler toute la viande de mes vieux pot-au-feu. Et à ce sujet, mon bien-aimé, je t’accuse réception des deux livres que tu as remis ce matin pour moi à Suzanne plus des livres apportés dans un cher petit mot de toi par Rosalie il y a quinze jours. Je te dis cela pendant que j’y pense pour que tu voies que je n’ai pas oublié de les porter en acomptes. Cher adoré, tu m’as paru bien mieux aujourd’hui qu’hier. Ton beau visage avait une expression plus gaie et plus calme qu’hier et tu marchais plus facilement, sans compter que vous êtes très JOLIE sous votre chapeau de paille. Pauvre adoré je te souris de loin en attendant que je puisse t’inonder de baisers de près. J’envie Kesler qui peut rester auprès de toi et t’entourer de mille petits soins. Je regrette de n’être pas ta servante pour te rendre tous les services dont tu as besoin et je m’en [veux  ?] de mon inutile amour qui ne sait que t’adorer. J’attends Kesler ce soir, j’espère qu’il m’apportera de bonnes nouvelles pour te préparer à une bonne nuit. Je t’aime et je te bénis, mon adoré.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 196
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « préocupation ».
b) « envoyé ».

Notes

[1Il s’agit du proscrit.

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