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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 avril 1840

4 avril [1840], samedi midi

Bonjour mon cher bien-aimé. Bonjour mon bon petit homme. Bonjour le plus cruel et le meilleur des hommes, le plus injuste et le plus généreux, le plus méchant et le plus doux, le plus aimé et le plus adoré, le plus admiré et le plus ravissant. Bonjour, bonjour je t’aime. Je t’écris de mon lit où je reste par économie. Il ne fait pas assez chaud pour déjeuner sans feu et il ne fait pas assez froid pour brûler du boisa sans rime ni raison, d’ailleurs j’ai mal aux reins et le lit est un bon remède. Je me lèverai cependant après déjeuner mais pas auparavant. J’ai joliment des grosses lettres à vous écrire, méchant homme : QUATRE ! que vous ne lirez pas ce qui sera juste à cause de vos pauvres yeux et du temps que vous n’avez pas. Mais moi je n’en jetterai pas moins, à fond perdu comme toutes les marques d’amour que je vous donne, tout mon cœur et toute mon âme sur ce papier comme si vous deviez en lire tous les mots à genoux et en baiser chaque lettre avec adoration.
Vous m’avez fait bien du mal l’autre jour et bien injustement, le bon Dieu le sait aussi bien que moi. Mais enfin je te pardonne du meilleur de mon cœur et sans espoir que tu me rendes jamais la justice qui m’est due. Mais enfin je te pardonne et je t’aime plus que jamais. Et je t’adore comme ce qu’il y a de plus noble, de plus généreux, de plus parfait et de plus ravissant au monde. C’est bien vrai, bien vrai devant Dieu qui voit mon âme et devant toi qui me rebutesb et niesc mon amour sans justice et sans pitié. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Tantôt je t’écrirai encore une grosse lettre et puis encore tantôt une autre et puis encore une autre lettre une autre tantôt. J’espère que ma journée sera prise mais mon cœur l’est davantage et sans interruption en intercalation de marchande de volaille, de cordonnier, de marchande de coupons etc., etc. Je t’aime sans intermittence, je t’aime depuis un bout de ma vie jusqu’à l’autre. Je t’aime de toutes mes forces et de toute mon âme. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, me crois-tu ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 1-2
Transcription de Chantal Brière

a) « mois ».
b) « rebute ».
c) « nie ».


4 avril [1840], samedi après-midi, 1h ¾

Voici ma seconde lettre, mon amour, elle ne différera de la première ni par la longueur ni par les sentiments, car ce sera le même format pour le papier et le même amour pour les mêmes mots. La différence sera dans l’heure voilà tout. Que je vous aime, mon Toto.
J’ai écrit tout à l’heure à la maîtresse de pension et à Mme Pierceau, la première pour lui mander quea je verrai avec déplaisir et mécontentement qu’elle se fût permise de donner une robe d’uniforme à ma fille sans en avoir demandé et obtenu la permission de M. Pradier. Outre que le procédé serait un peu leste, je trouve que ce serait un exemple dangereux pour l’enfant que de voir le peu de ce qu’on fait de l’autorité de son père et de la responsabilité de sa mère. La seconde lettre pour Mme Pierceau était pour l’engager à venir demain et pour la prier dans le cas où elle verrait Mme Krafft de lui dire que j’avais l’argent des cadres. Voilà mon bon petit homme ce que j’ai fait dans l’intervalle de ma première lettre à celle-ci, y compris l’action téméraire de déjeuner. Est-ce bien TRIMINEL ? Je vous aime mon Toto, vous saurez cela pour votre punition et pour vos remords. Je vous aime de toute mon âme et je ne vous trahis pas. Tous vos soupçons sont autant de cruautés et d’injustices envers votre pauvre fidèle Juju. Mais je ne vous en veux pas et je continue de vous aimer, comme si vous en étiez le plus heureux, le plus fier, le plus confiant des hommes. Baisez-moi et tâchez de venir me voir dans l’intervalle des affaires aux visites ; pensez que je vous aime et que le temps me paraît éternel pendant votre absence. Je t’aime mon Toto chéri, je t’aime mon amour. Je vais me débarbouiller et m’habiller et puis je t’écrirai, et puis je travaillerai et puis je t’écrirai et puis je t’adore au passé, au présent, au futur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16342, f. 3-4
Transcription de Chantal Brière

a) « que que ».

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