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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 février, vendredi soir, 4 h. ½

Vous m’oubliez donc toujours, mon cher bien-aimé ? Moi je vous aime et je pense sans cesse à vous. Je vous désire de toute mon âme. Je vais copier tout à l’heure le ravissant Trumeau [1] et les vers : Dieu qui sourit [2] etc., quoique je ne voie pas trop l’utilité de ce travail puisque vous corrigez les épreuves sur les manuscrits originaux. Mais j’y pense c’est pour donner aux imprimeurs ? Dans ce cas je vous dois une réparation et je vous l’offre à genoux. D’ailleurs j’étais une hypocrite quand je faisais semblant de ne pas comprendre l’utilité de cette copie car pour moi il y en a une immense à relire mot à mot, syllabe à syllabe les vers admirables que votre chère petite main blanche a écritsa. Baisez-moi alors et aimez-moi, vous êtes mon Toto ravissant. Il fait un froid de loup dans ma chambre qui n’a pas encore eu le temps de s’échauffer. Elle ressemble pour la température à la place Louis XV [3]. J’ai l’onglée aux mains et le nez tout bleu. Voime, voime c’est très joli mais je m’aimerais mieux d’une autre couleur. Les journaux doivent être gracieux pour l’Académie en généralb et pour Flourens [4] en particulier. Je voudrais bien voir ça pour me récompenser des quatre heures d’onglée que j’ai enduréesc hier à cause d’elle et de lui. Tu devrais me les apporter pour me réjouir. En même temps tu m’apporterais ta belle bouche à baiser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 184-185
Transcription de Chantal Brière

a) « écrit ».
b) « générale ».
c) « enduré ».


21 février [1840], vendredi après-midi, 1 h.

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon adoré petit homme. Je t’aime autant aujourd’hui qu’hier ce qui est assez joli de ma part car enfin vous n’êtes pas cacadémicien [5]. C’est un apothicaire qui l’est et qui vous fait la nique. Ce Fleurant-là [6] a un bon nez de fleurera le fauteuil. Je lui vote une chaise percée d’honneur avec tous les attributs de son état. Il est probable que tu es en proie au Harel ce matin et que tu ne pourras pas t’en débarrasser sans lui donner ta pièce. Au fait ce pauvre Harel mérite bien que tu récompensesb sa persévérance et sa ténacité car voilà six ans bien sonnés que tu lui tiens rigueur. Quant à moi je voudrais qu’il n’y ait ni académie ni théâtre ni libraire, je voudrais qu’il n’y ait de par le monde que des grandes routes, des diligences, des auberges, une Juju et un Toto s’adorant. Hélas ! mon vœuc est loin d’être réalisé et tout abonde excepté ce qui ferait mon bonheur. J’ai beau me faire des sermons qui durentd vingt-quatre heures pour me prouver que cela doit être ainsi et que je suis la plus heureuse des femmes, j’ai une montagne de tristesse et d’ennui sur le cœur qui me donne un fier démenti. Enfin voilà il faut savoir vivre comme cela et ne pas ennuyere son Toto de plaintes inutiles ; aussi je [n’]en ferai plus qu’une : c’est que je t’aime trop. Baisez-moi mon petit homme et tâchez de venir très tôt.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 186-187
Transcription de Chantal Brière

a) « fleuré ».
b) « récompense ».
c) « vœux ».
d) « dure ».
e) « ennuier ».

Notes

[1Titre d’un poème offert à Juliette pour l’anniversaire de leur amour qui sera finalement publié dans Les Contemplations sous le titre « La Fête chez Thérèse ».

[2« Dieu qui sourit et qui donne… », Les Rayons et les Ombres, XLI.

[3« En passant dans la place Louis XV un jour de fête publique », Les Rayons et les Ombres, XXV.

[4Nom de l’un de deux académiciens élus la veille. Hugo, qui était candidat, n’a pas été élu.

[5Hugo, candidat à l’Académie française, n’a pas été élu le 20 février.

[6Juliette rapproche le nom du nouvel académicien Flourens, médecin biologiste, de celui du personnage d’apothicaire dans Le Malade imaginaire de Molière, M. Fleurant. Après sa chute dans Marie Tudor, en 1833, elle avait elle-même joué un rôle de médecin, d’apothicaire ou de porte-seringue dans Le Malade imaginaire à la Porte-Saint-Martin (1re le 24 novembre 1833) [Gérard Pouchain et Robert Sabourin, ouvrage cité, p. 437].

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