4 mai 1840

4 mai [1840], lundi matin, 8 h. ¾

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto chéri, j’aurais été bien heureuse si tu étais venu ce matin au lieu d’être triste et mouzon comme un hibou. Je sais que tu travailles pour moi mon Toto adoré, aussi je ne t’en veux pas mais je suis bien triste dans le fond de l’âme de ne pas te voir et de la nécessité pour toi de passer les nuits à me gagner de l’argent :
« Gilbert je voudrais baiser vos pieds !...........Vous avez souvent manqué de pain, je n’ai jamais manqué de rubans. [1] » Cette citation que je tronque faute d’espace, mais non faute de mémoire, je la répète sans cesse dans mon âme et avec un sentiment de vénération, de pitié et d’adoration : « Victor je voudrais baiser tes pieds. Victor je voudrais donner ma vie pour toi. Victor tu es plus qu’un homme car comme Dieu ton amour purifie. » Sois béni mon sublime amant autant que tu es admiré, sois heureux autant que tu es aimé. J’attends demain avec bien de l’impatience mon amour pour me régaler l’esprit. Je vais revoir mon Gastibelza [2] et tous mes autres admirables amis avec lesquels je renouvellerai connaissance en les baisant à votre nez et à leur barbe, ceux qui en auront. En attendant je vais joliment vous désirer et vous aimer. Je trouve déjà la journée bien longue quoique je ne sois levée que depuis une heure. C’est que les heures de votre absence sont des années d’ennui et d’impatience tandis que les années de bonheur sont des heures qui passent si vite qu’elles vous laissent tout jeune et tout joyeux comme si on n’avait^a pas vécu plus d’une heure. Je t’aime et je ne sais [expliquer ?] et c’est bête comme une oie.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 105-106
Transcription de Chantal Brière

a) « avait ».

4 mai [1840], lundi soir, 4 h. ½

J’ai été sur mes jambes toute la journée, mon Toto, c’était aujourd’hui que la matelassière venait découdre les matelas et j’ai profité de cela pour ébaucher un nettoyage^a que je finirai demain quand le tapis sera enlevé. J’ai cogné des clous et accroché les 4 cadres vermoulus au mur de la salle à manger non pour le parer mais pour nettoyer^b ce nid de toile d’araignées^c, de poussière et de vers. Je n’avais jamais rien vu d’aussi sale ni en aussi mauvais état, grâce à Dieu les voici propres et le grand air et le plumeau empêcheront qu’ils ne tombent en poussière tout à fait. J’ai reçu une lettre de Claire tantôt qui me mande qu’elle n’a pas vu M. Pradier mais que M^me Lanvin doit y retourner cette semaine. J’avais bien prévu ce qui arrive aussi ne suis-je pas surprise mais contrariée. Je ne veux pas toucher aux 15 f. de la soupière^d ce qui fait que je n’ai pas d’argent pour le blanchisseur ni pour la maison, j’ai en outre chargé^e M^me Besancenot, qui sortait aujourd’hui, de m’acheter chez son passementier de la petite frange et des petits anneaux pour mes rideaux. Mais je m’aperçois^f que je te fais un détail fastidieux de tous mes embarras de ménage tandis que j’ai le cœur plein d’amour et les lèvres chargées de baisers que je voudrais déposer sur ta jolie petite GEULE.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 107-108
Transcription de Chantal Brière

a) « nétoyage ».
b) « nétoyer ».
c) « arraignées ».
d) « soupierre ».
e) « chargée ».
f) « m’apperçois ».