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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mars 1840

28 mars [1840], samedi après-midi, 1 h. ¾

Bonjour mon bon petit bien-aimé, bonjour mon adoré, bonjour ma joie, bonjour méchant et ravissant petit homme, je t’aime joyeux, je t’aime en fureur, je t’aime à toute sauce et à bride abattue comme un cher bijou que tu es. J’ai l’air d’être bien en retard et cependant je me suis levée d’assez bonne heure, j’ai fait mes tisanesa, j’ai écrit à mon épicier et à mon marchand de vin, je me suis débarbouillée, j’ai copié tes vers de cette nuit qui sont encore plus admirables ce matin ; et puis enfin je t’écris une grosse lettre auparavant déjeuner dans le cas où nous irions à Rachel ce soir, ce dont je doute très fort vub l’attention délicate que tu as eu de dire au Laurent [1] que tu ne pourrais pas y aller aujourd’hui. Il est probable que les loges sont louées au moins un jour d’avance. Il est certain en outre que Mme Pierceau ne verra pas le Démousseau avant 3 ou 4 h. tantôt, en supposant qu’elle le voie, ainsi tu vois mon amour qu’il y a cent à parier contre un que nous n’irons pas. Je ne peux pas te dire à quel point cela me serait égal si je ne perdais pas l’occasion, de plus en plus rare, d’être avec toi toute une bonne soirée. Cependant si tu ne vas pas ce soir au théâtre je te demanderai, au risque de t’importuner et de t’irriter, de souper avec moi ce soir absolument comme nous l’aurions fait si nous avions été à Rachel. Baisez-moi mon amour et ne m’en veuillez pas si je vous aime trop et surtout ne vous mettez plus en colère contre cette espèce de pie borgne qu’on appelle Mme K. [2], elle ne mérite en aucun cas ni cet excès d’honneur ni cette indignité [3] et puis, croyez-moi bien, votre fidèle et passionnée Juju, parce que rien n’est plus vrai et plus sûr. Je voudrais vous voir, mon Toto, j’ai rêvé de vous toute la nuit, des bons petits rêves d’amour qui ne demandentc pas mieux que de devenir des réalités aujourd’hui. À propos de réalité j’en ai fait une pommée cette nuit : j’ai mis mon petit pot de chambre, toutd endormie que j’étais, à moitié sur la table de marbre et il est tombé bravement sense dessus dessous sans se casser et j’en ai été quitte pour faire éponger et essuyerf ce matin la place imbibée. Voilà l’événement de cette nuit ; aurai-je beaucoup de coups ? Baisez-moi toujours, aimez-moi et permettez que je n’aie jamais mal à la tête pour vous. Je suis bien assez forte pour le garder pour moi toute seule. Je t’aime mon Toto. Je te baise mon petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 312-313
Transcription de Chantal Brière

a) « tisannes ».
b) « vue ».
c) « demande ».
d) « toute ».
e) « sans ».
f) « essuyier ».

Notes

[1À identifier.

[2Mme Krafft.

[3Réplique de Junie à Néron, dans Britannicus de Racine : « J’ose dire pourtant que je n’ai mérité / Ni cet excès d’honneur ni cette indignité » (Acte II, scène 3).

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