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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 mars 1840

23 mars [1840], lundi après-midi, 1 h. ¾

Bonjour mon Toto charmant. Bonjour mon Toto éblouissant. Bonjour je t’aime. Bonjour je t’admire, bonjour je t’adore. J’ai rêvé de toi toute la nuit, des rêves doux et ravissants comme toi. Mon Dieu que c’est donc beau cette description de notre excursion à Toulon et à Aix [1], c’est d’une ressemblance exquise, j’en excepte cependant l’officier sardea qui me paraît de la même famille que le vieux vigneron beaunois [2] ; l’un et l’autre se valent mais ils vaudraient peut-être mieux encore à ne pas sortir de la peau de Juju ; vous n’êtes pas de cet avis ? – Merci. – Je raffoleb de la chanson du vieux berger. Je veux que tu me l’apprennes sur ton AIR. Je veux la chanter comme toi je suis sûre que la musique en doit être ravissante comme celle du Au Soleil couchant etc. Je n’ai rien copiéc encore malgré l’envie que j’en ai parce que j’avais aujourd’hui le linge du blanchissage à compter et toutes tes tisanesd à faire mais tantôt je vais m’en donner à cœur joie ; cependant je ne manquerai pas auparavant de m’acquitter envers vous et je vous paierai comptant une grosse lettre pleine de mon amour d’hier, d’aujourd’hui, de demain et de toute ma vie. Baisez-moi en attendant et puis je vais déjeuner car j’ai bien faim. Je compte sur vous pour souper ce soir, spectacle ou non.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 294-295
Transcription de Chantal Brière

a) « sardes ».
b) « raffolle ».
c) « copier ».
d) « tisannes ».


23 mars [1840], lundi soir, 6 h. ¼

Rien encore, mon petit homme, j’espère pour Rachel qu’on ne l’aura pas interdite comme la pièce de Balzac [3] dans la crainte de me démoraliser et de me scandaliser. Quoi qu’ila en soit il est peu probable qu’on nous envoie une loge ce soir et que je voie Mlle Rachel avant l’an de grâce 1940. Je n’en serais pas plus triste si je ne perdais l’occasion de passer une bonne soirée de joie et de plaisir avec toi, et ce petit incident suffit pour me faire trouver le procédé du hideux M. Desmousseaux stupide et ridicule. Il n’avait pas besoin de cette gentillesse pour me le faire trouver tel il est vrai mais cela ne fait que le culotter.
Je voulais vous écrire une grosse lettre et justement je trouve mon papier simple croyant le trouver double, j’en serai quitte pour y rabouter une autre demib feuille et voilà. Je vais raccommoderc votre gant et le mien tout à l’heure et après avoir mangéd ma soupe je copierai mes beaux vers et notre ravissant voyage [4], il ne faut pas moins pour me consoler de ne pas passer la soirée avec toi ainsi que je l’espérais. Merci mon amour, merci de ta bonté, merci de m’ôter du cœur la vilaine épine de jalousie que j’y avais, merci, merci, tu es mon Toto adoré. Papa est bien i, je l’aime de toute mon âme, je baise ses chers petits pieds de loin et de près. Voici la nuit et sept heures et plus d’espoir de rester auprès de toi toute la soirée, je suis furieuse que le Diable emporte toute la sacréee boutique. Voici Suzanne qui me demande la permission de me faire souhaiter le bonsoir par sa cousine, jeune grisette de 24 ans. Pour lui faire plaisir j’y consens mais après que je t’aurai encore baisé de toute mon âme sur toute ta chère petite personne adorée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 296-297
Transcription de Chantal Brière

a) « Quoiqu’il ».
b) « demie ».
c) « racommoder ».
d) Au bas du deuxième feuillet et au haut du troisième se trouve le même dessin, une croix entourée de quatre points.

© Bibliothèque Nationale de France


© Bibliothèque Nationale de France


e) « sacré ».

Notes

[1Récit du voyage de septembre et octobre 1839.

[2Au cours du voyage, Hugo évoque le passage de la frontière entre « France et Sardaigne » matérialisée par une baraque au milieu d’un pont de bois franchissant le Var qui délimitait le Comté de Nice appartenant au royaume de Piémont-Sardaigne. Quant au vigneron de la région de Beaune, il explique au voyageur sa méthode de vendange.

[3Vautrin, la pièce de Balzac a été interdite le 15 mars. Le comédien Frédérick Lemaître est accusé d’avoir recherché dans sa coiffure une « ressemblance outrageante » avec le roi Louis-Philippe.

[4Voyage des mois de septembre et octobre 1839.

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